BASA

102 L.-A. Colliard cesse de lutter et en signe d'abandon de sa résistance inutile, elle change la fin de la prière de sainte Thérèse en « Donnez-moi refuge ou angoisse mortelle »- Puis, sous la direction personnelle de la Prieure Lidoine, Blanche cherche à former sa vie religieuse, sur l'union au Christ souffrant : tel est le sens de la consigne « Demeurer fidèle à l'angoisse »_ Marie de l'Incarnation est, si l'on peut s'exprimer ainsi, le con– traire de Blanche de La Force. Tout en elle fait contraste : « loin de reculer devant le danger, cette âme ardente et fière est portée d 'ins– tinct vers l'héroïsme » 19 . Il est certain qu'elle régnait en maître dans le couvent. Ses aspirations héroïques se communiquent malgré elle aux autres religieuses . La marée révolutionnaire monte toujours et, en l'absence de la Prieure , Marie de l'Incarnation prend une initia– tive à la limite de l'obéissance, et propose le vœu de martyre si cher à son cœur. Les Carmélites espèrent inconsciemment que Blanche se tiendra écartée de cet holocauste, mais elle le prononce et, immédia– tement après, s'enfuit du couvent. Sa vie se sépare alors de celle du Carmel ; elle continue de souffrir, mais dans un état d'inconscience, et sa personnalité est littéralement anéantie par l'horreur. Les reli– gieuses en revanche vivent unies et préparent avec calme le jour de l'épreuve. Marie de l'Incarnation doit aller à Paris et dans la foule elle reconnaît Blanche de La Force ; elle se précipite à sa suite s'écriant : « 0 Jésus, je comprends maintenant votre angoisse de mort » 20 ; mais elle ne retrouve pas Blanche, et lorsqu'elle veut re– joindre ses sœurs il est trop tard , la sortie de Paris ayant été inter– dite. Ce soir même, les Carmélites de Compiègne sont arrêtées, et (19) S. MEREDITH MURRAY, La Dernière à /'Echafaud, page 50. (20) Ibidem, page 119. Chez Bernanos, cette idée que l'angoisse peut devenir une grâce, constitue le thème dramatique et lyrique de la pièce, une sorte de centre auquel tout ramène sa pensée. Dès 1929, dans son roman La Joie (Edit. Pion), il avait proclamé: «En un sens, voyez– vous, la Peur est tout de même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi-Saint. Elle n'est pas belle à voir - non ' - tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous . Et cependant ne vous y trompez pas: elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l'homme ». Dans son Bernanos par lui-même (Edit. du Seuil, Paris, 1954), Albert Béguin n'hésite pas à affirmer que « la peur avait été la compagne redoutable et familière de son enfance , l'inévitable présence à ses côtés durant les quatre années de guerre (1914-18). Elle avait régné sur ses per– sonnages et sur toute l'ambiance de son univers romanesque. C'est à elle encore qu 'il fa isait front lorsqu'il essayait de comprendre l'histoire de son siècle ».

RkJQdWJsaXNoZXIy NzY4MjI=