BASA

242 P. Guichonnet fera une réputation comme portraitiste, et l'émigré obscur vivra de ses pinceaux. A travers la transparence du style et l'économie des moyens descriptifs, bien éloignés de l'enflure et de la redondance roman– tiques, se reconnaissent. à chaque page, l'élégance nette de l'homme du XVIIIe siècle et le botaniste impénitent : ainsi le Lépreux, dans son jardinet, cultive et améliore les fleurs rares des montagnes et, dans le Voyage autour de ma chambre, la description de la Bergère des Alpes nous vaut un petit festival botanique : « Elle est assise sur un vieux tronc de sapin, renversé et blanchi par les hivers ; ses pieds sont recouverts par les larges feuilles d'une touffe de cacalia dont la fleur lilas s'élève au-dessus de sa tête. La lavande, le thym, l'anémone, la centaurée, des fleurs de toute espèce, qu'on cultive à peine dans nos serres et nos jardins et qui naissent sur les Alpes dans toute leur beauté primitive, forment le tapis brillant sur lequel errent ses brebis ». Engagé à dix-huit ans comme simple soldat dans le régiment Royal-Vaisseaux, Xavier de Maistre mène la vie errante et monotone des garnisons piémontaises. On peut imaginer cet adolescent, promu au bout de bien des années officier subalterne et connaissant, de la vie militaire, la servitude avant la grandeur, à l'instar de Vauve– nargues ou de son contemporain Bonaparte. Grand lecteur de l'En– cyclopédie, il dévore les Souffrances du Jeune W erther, dont les épisodes décorent sa chambre. Il est un autre trait de notre héros dans lequel nous pouvons, je pense, Mesdames et Messieurs, retrouver une des composantes de notre psychologie, à nous, Savoyards et Valdôtains : c'est ce repli sur soi et cette intériorisation des sentiments qui répugnent à s'ex– primer en effusions autobiographiques. Notre sensibilité esquive le contact direct et l'affirmation personnelle, pout abriter, derrière un sourire à fleur de lèvres, les émotions fortement ressenties. C'est à cette veine qu'appartient le célèbre Voyage autour de ma chambre, composé en 1790, à la suite d'une incartade qui avait valu au jeune officier d'être claustré aux arrêts de rigueur dans son appartement d'Alexandrie. Dans cette suite de croquis ou la contemplation du décor familier fait éclore une série de rémi– niscences et de rêveries, avec cette plongée à contre-courant dans la mémoire qui est devenue une des techniques chères au roman contemporain, Xavier de Maistre s'est inspiré du Tristram Shandy de Sterne et a emprunté à son modèle britannique un humour qu'il

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