BASA

250 P. Guicbonnet On pourrait penser que le grand dépaysement dans une nou– velle patrie et les succès mondains aient relégué dans l'oubli l'idylle valdôtaine. Il n'en est rien et, malgré la distance et l'écran défor– mant du temps, le souvenir d'Elisa ne s'efface pas. Dès son retour en Italie, en 1825, il s'enquiert de celle qu'il nomme « ses pre– mières pensées». Qu'est-elle devenue ? Dauphine s'est remariée en 1800, avec un officier français, Jacques-Camille Decoularé de La Fontaine, qui l'a emmenée pendant quelques années dans sa Nor– mandie natale. Puis le ménage est revenu vivre à Aoste, dans la maison de Bard, celle-là même qui avait abrité les Maistre lors de leur émi– gration . Mais, dit Xavier, «le mari est un brutal qui la maltraite et qui s'avise d'être jaloux d'une vieille femme ». Une correspondance reprend, dont il ne subsiste que de rares fragments, publiés pour la première fois dans leur intégralité par M. Farinet. Lettres de Xavier seulement, car les réponses de Dauphine n'existent plus. Mais fragments qui nous paraissent d'une grande importance pour attester que le séjour de Xavier à Aoste n'est point un simple intermède, comme on est trop souvent porté à le voir, le point de départ épisodique d'un récit, mais qu'il a profondément marqué la vie sentimentale de !'écrivain. Sous la courtoisie de la forme, voici que surgissent des rappels et des retours sur le passé, à peine suggérés, mais pleins d'une poignante mélancolie et, aussitôt, refrénés et retranchés derrière une pointe d'humour : « Ecrivez-moi, de grâce : tout ce que vous me direz m'inté– resse, parlez moi de la croix de la ville, dites moi s'il y a encore des pigeons devant votre ancienne fenêtre, si la petite maison de votre mère existe encore et si vous avez visité quelque fois la tour déserte du pauvre lépreux ». Et, dans une autre lettre : «Je serais charmé d'avoir une notice sur mes anciennes connaissances de la Cité : ce sera probablement une nécrologie, n'importe : ce coin de terre où j'ai passé des jours si heureux m'intéresse autant que ma patrie. Je ne m'en rappelle jamais les hivers et le mauvais temps, il me semble que le ciel y est toujours serein et les arbres en fleurs. Mais pour entrer dans la réalité et vous encourager de me parler de vous, je vous apprendrai que mon front s'est dépouillé de ses cheveux et qu'ils ne rebiollent plus, comme vous me le disiez un jour ; en conservant ma face maigre et pâle, je suis devenu plus volumineux et j'ai acquis un assez gros ventre qui me donne un air respectable ».

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