BASA
Xavier de Maistre et la Vallée d'Aoste 251 Il reste à mettre un épilogue d'histoire littéraire à ces relations entre Xavier et Dauphine. Sainte-Beuve, on le sait, n'avait pas le caractère à la hauteur de son talent. Cet homme, d'une intelligence critique si lucide et si équitable, était souvent oblique, voire importun, dans les démarches de l'existence et il poursuivait son gibier littéraire avec quelque indiscrétion. Pour écrire son portrait de Xavier de Maistre, il semble avoir cherché à obtenir des informations auprès de son égérie valdôtaine et, surtout, il « confesse » l'auteur du Lé– preux, à Paris. Il le voit, nous l'avons dit, « naïf, étonné, douce– ment malin et souriant ». De cet entretien sort la version romanesque de la genèse du récit : les amants se rencontrent dans la tour : «Deux amants se ménageant des rencontres de bonheur à l'ombre de cette redoutable charmille du Lépreux, n'est-ce pas touchant ? L'extrême félicité à peine séparée par une feuille tremblante de l'extrême désespoir, n'est ce pas la vie ? » Cette évocation et ces antithèses romantiques n'eurent pas l'heur de plaire à Xavier et sa correspondance garde les traces de son irritation : il écrit à Madame de Marcellus : « Avez-vous vu la biographie de Mr. Sainte-Beuve ? Avec la bonne intention de m'obliger, il m'a vivement blessé en parlant de rendez-vous que j'avais avec une dame chez le lépreux. J'avais dit une fois à cet indiscret que personne à la Cité d'Aoste ne craignait de le voir et que je lui avais fait plusieurs visites avec une dame à laquelle je faisais la cour. Mais je n'ai point parlé de rendez-vous qui n'exis tètent jamais. Je ne vous ai point parlé de ces amours ? Voilà l'histoire : c'était une jolie veuve indépendante, la plus belle de la ville d'Aoste et jouissant d'une assez jolie fortune. Je lui avais fait la cour pendant trois ou quatre ans, dans l'espoir d'en faire ma femme, mais elle en préféra un autre : voilà en quoi consiste ma bonne fortune que l'on publie dans les Deux Mondes . Lisez ce passage où l'on me fait « jouir de la suprême félicité, séparé par une feuille tremblante du suprême désespoir» . C'est chez le lépreux que nous allions nous cacher, bien sûrs de n'être pas découverts ! L'impudent ! Cette bonne dame existe encore, elle a des enfants et une réputation au-dessus de tout soupçon. Que pensera-t-elle de ma fatuité presque octogénaire ? Car j'ai l'air d'avoir raconté toutes ces sottises. Que le diable emporte les littérateurs et la littérature ! Je ne veux plus en entendre parler ». Et, le 20 août 1841, à son ami de Buttet - deux ans encore après la parution de l'article : « L'insolent écrivassier me fait
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