BASA
Depuis environ une douzaine d'années, le théâtre de Racine, expression parfaite du génie classique, a été l'objet de toutes les tentatives critiques de quelque importance: critique sociologique avec Lucien Goldmann 1 , psychanalytique avec Charles Mauron 2 , psychologique avec Georges Pou– let 3 et Jean Starobinski 4, biographique avec Jean Pommier 5 et Raymond Picard 6 • On dirait presque que la poésie française la plus liée à l'idée d'une transparence classique a réussi, par un curieux paradoxe, à solliciter l'intérêt interprétatif de tous les langages nouveaux que notre siècle suggère. Aussi transparent qu'un cristal qui « couvre et découvre des pro– fondeurs effrayantes » 7 , le monde racinien présente en fait plus de com– plexité et de difficultés d'interprétation qu'on n'est généralement tenté de le croire en raison de la simplicité du sujet et de l'action 8 , ainsi que de la vraisemblance psychologique 9 • La transparence racinienne a-t-elle donc une « valeur ambiguë» 10 ou évasive ? C'est justement ce que soutient un des plus brillants spé- (1) Lucien Goldmann, Le Dieu caché, Edit. Gallimard , Paris 1955. (2) Charles Mauron, L'Inconscient dans !'oeuvre et la vie de Racine, Edit. Ophrys, Gap, 1957. (3) Georges Poulet, Notes sur le temps racinien, pp. 104-121 du Tome I des Etudes sur le temps humain, Edit. Pion, Paris, 1950. (4) Jean Starobinski, Racine et la poétique du regard, pp. 69-90 de l'ouvrage de cet auteur, L'oeil vivant. Essai. Edit. Gallimard, Paris, 1961. (5) Jean Pommier, Aspects de Racine, Edit. Nizet, Paris, 1954. (6) Raymond Picard, La Carrière de Jean Racine, Edit. Gallimard, Paris, 1956. (7) Diego Valeri, Littérature Française, Edit. Mondadori, Milan, 1963, page 162. (8) Grâce aux efforts convergents de Racine et de Molière, de La Fontaine et de Boileau, l'art s'oriente de plus en plus vers la simplicité. Racine conçoit la tragédie comme l'étude d'une crise psychologique, aboutissement d'un long conflit: l'action est ainsi allégée de ses éléments extérieurs, car tout se passe dans l'âme des personnages. Ce goût de la simplicité, renforcé par la connaissance des tragiques grecs, trouve son application la plus évidente dans Bérénice. C'est dans la préface de cette pièce que Racine écrit: «il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens . » (9) Ni tout à fait coupables, ni tout à fait innocents, mais toujours dominés par des passions indomptables, les personnages de Racine s'accordent, par le naturel et la vraisem blance psychologique, avec l'idée janséniste de la faiblesse humaine, tout en représentant une réaction au genre héroïque et romanesque. (10) Roland Barthes, Sur Racine, Aux Editions du Seuil, Paris 1963, page 10.
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy NzY4MjI=