BASA

130 L.-A. Colliard De nombreux efforts ont récemment porté sur la reconstitution de clefs historiques 23 , mais les résultats de ce travail ne peuvent être considérés comme définitifs, l'analogie - selon Barthes - étant malheu– reusement ~< un gros filet » qui tamise le discours racinien. Parfois, ses preuves ne se fondent en fait que sur le nombre et la convergence des indices factuels, car de la réalité quotidienne du monde de Versailles, auquel s'adressait son oeuvre, Racine n'a tiré que les notes typiques qui font de ses personnages les contemporains de toutes les époques. Faut-il donc considérer comme valable ou arbitraire le rapprochement qui s'établit dans nos esprits entre Alexandre le Grand, épris de Cléofile et subjugant par sa générosité le roi Porus, après l'avoir vaincu à la bataille d'Isdaspe, et Louis XIV, s'amusant aux intrigues amoureuses et galantes de sa Cour et se couvrant de gloire sur les champs de bataille ? Cette pièce ne marque-t-elle pas la rencontre de Racine et du Roi Soleil, qui le prend en amitié en se reconnaissant sous les traits généreux du roi de Macédoine ? Aucun doute: la flatterie deviendra officielle lors de l'impres– sion et de la dédicace au jeune roi de vingt-sept ans. Le sujet de Bérénice, qu'Henriette d'Angleterre 24 wait proposé à Racine et à Corneille en même temps, rappelait-il à la jeune princesse, « évincée auprès du roi par Mlle de La Vallière » 25 , le secret attachement que lui avait jadis inspiré son beau-frère, Louis XIV ? Cette élégie drama– tique, où Titus 26 est obligé, pour des raisons d'état, de renvoyer la belle princesse juive qu'il avait emmenée à Rome et qu'il voulait épouser, ne cache-telle pas, plus vraisemblablement, une allusion discrète à Marie Man– cini que de cruelles raisons politiques avaient éloignée du jeune sou– verain français ? Dans la « superbe Vasthis », répudiée par Assuérus 27 , roi de Perse, et dans Esther 28 , la malheureuse vierge juive que le roi persan choisit comme épouse, ne voit-on pas une allusion désobligeante à la favorite délaissée, Mme de Montespan, et un coup de chapeau à Mme de Main- (23) Jean Orcibal, La Genèse d'Esther et d'Athalie, Edit. VRIN, Paris, 1950. (24) René Jasinski, Vers le vrai Racine, Edit. Colin, Paris 1958 (2 volumes), p. 425. Fille d'Henriette de France (reine d'Angleterre) et femme à 17 ans du duc d'Orléans (frère unique du Roi Soleil), H enriette d'Angleterre mourut mystérieusement en 1670 à l'âge de 26 ans. Dans une touchante Oraison funèbre, Bossuet a immortalisé cette charmante jeune dame, délicate protectrice de Racine et de Molière. Douée des plus beaux talents, elle se laissa courtiser «plus que la bienséance ne l'eût voulu» (Jasinski, p. 425) d'abord par le comte de Guiche et puis par Vardes (ami déloyal de Guiche), l'un des séducteurs les plus brillants de la Cour. (25) Rèné Jasinski, o. c. (26) Pour ce nom-ci (Titus), aussi bien que pour tous les autres noms latins, Racine, se conformant à l'usage de son temps, quitte la vieille forme française (Tite), dont Corneille par contre continue à se servir, surtout dans sa pièce Tite et Bérénice. (27) Nom biblique correspondant probablement à Xerxès le Grnnd. (28) En hébreu: étoile.

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