BASA
Présence de Racine 131 tenon, depuis quatre ans femme morganatique du Roi Soleil ? Bien plus, le thème de la persécution rapproche-t-il, dans l'esprit du poète, le destin tragique des Juifs et celui des Jansénistes ? Esther, arrachant au roi de Perse la révocation de l'édit d'ext errnination du peuple « élu », désigne– t-elle en Mme de Maintenon l'héroïne qui pourrait sauver, auprès du roi de France, les Solitaires ? Quant aux clefs biographiques 29 , il est sans doute plus difficile encore de parvenir à des conclusions défini tives , bien nombreuses étant les zones d'ombre dans l'existence de Racine. Toutefois, si les racines de son oeuvre plongent clans sa vie, c'est sans doute au niveau d'abord passionnel et enfin religieux qu'il faut envisager le sens des événements biographiques, dans un système logique fortement coüïdonné. Mais ob– sédée par une sorte de « dénichage » des ressemblances, cette critique analogique s'est parfois égarée, hélas, dans le chemin de l'induction, en tirant de certaines hypothèses de travai l des conséquences quelque peu arbitraires. Andromaque n'est-elle pas la Du Parc 30 , qui vient enfin couronner la flamme du poète ? Pourquoi la Troyenne finit-elle non seulement par épouser Pyrrhus , mais encore peut-être par l'aimer ? C'est que proba– blement Andromaque s'identifie avec la Du Parc et que, même sous la fiction théâtrale, Racine ne peut lui donn~r un rôle différent de celui qu'il désire lui voir jouer dans sa vie. De même, sans le vouloir expressé– ment, ne s'identifie-t-il pas avec Pyrrhus, tel qu'il était lorsqu'il s'efforçait de détacher du souvenir de son époux la Du Parc, veuve depuis 1664 avec plusieurs enfants en bas âge 31 ? Autant que Pyrrhus, Racine , « le tendre Racine » (Sainte Beuve), a vivement désiré, de toute son âme, la femme de ses rêves. Pour cette comédienne, qui lui apparaît dans tout l'éclat de la séduction, il trahit la confiance de Molière, s'expose aux inimitiés et aux réprobations, et ne ménage pas les trente mille livres qu'il venait d'hériter de son grand-père Sconin. Elle est son inspiratrice, l'interprète idéale d'Andromaque, la vedette qu'il a patiemment, amoureusement formée pour une longue série de triomphes. (29) René Jasinski, o. c. (30) Insensible aux hommnges de Molière, dont elle quitta la troupe pour devenir la première créatrice du rôle d'Andromaque, Marguerite Du Parc mourut, «suite de couches prématurées » (Boileau), deux ans plus tard, en 1668. A ses funérailles on remarquait, parmi ses nombreux adorateurs désolés, le Ch~valier de Rohan qui voulait l'épouser, et Racine qui l'avait peut-être secrètement épousée. Le procès des poisons ayant éclaté en 1680, la Voisin, soumise à la question, déclara que Racine avait volé les bijoux de sa maîtresse après l'avoir empoisonnée. Aussi la belle-m~re de l'actrice porta plainte contre le poète, qui fut tout près d'être arrêté. L'amitié du Roi le sauva. (31) Le plus ardent de ses nombreux admirateurs (parmi lesquels figurait aussi le vieux Corneille) était Racine, parrain de sa dernière fille, qui ne réussit à la détacher de la troupe de Molière qu'en 1667, après la promesse du rôle d'Andromaque dans la troupe des Comédiens du Roi.
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