BASA

132 L.-A. Colliard Monime, l'héroïne touchante de Mithridate, n'est-elle pas la Champ– meslé 32 , pour laquelle le poète « fait des comédies » 33 et lui apprend , vers par vers, l'art de réciter ses pièces, tou t comme il l'avait fait aupa– ravant avec Marguerite Du Parc ? On s'est demandé comment Racine a pu supporter les infidélités de Marie Champmeslé, dont il nous reste un pénible témoignage dans l'épigramme du poète sur les sept amants de sa partenaire. « Ne cherchons pas loin la réponse: elle se formule tout au long dans Mithridate » 34 • Presque aucun élément autobiographique, pas même filtré par la crise d'âme qui rapproche le poète de ses anciens maîtres de Port-Royal, n'a filtré en Athalie, tragédie religieuse d 'où l'amour devait être soigneu– sement banni. Cependant, on pourrait se demander jusqu'à quel point Mme de Sévigné était sincère, en glissant dans une lettre à sa fille , le lendemain de la représentation au Collège de Saint-Cyr, ce paradoxe assez symp tomatique: « Racine aime Dieu comme il aimait ses maîtres– ses » 35 . Est-ce que cette bonne dame n'avait pas encore oublié les brouilles qu 'elle avait eues avec la Champmeslé pour lui arracher son fils Charles, le jeune marquis ? Voltaire parait le croire, lorsqu 'il prend la défense de Racine en s'indignant contre Mme de Sévigné « qui écrivait bien et jugeait mal » 36 . A notre sens, cette tragédie renferme une sorte de contra– diction entre l'éthique de l'auteur (pure abstraction issue du conformisme) et son esthétique (faite de vivantes et étincelantes séductions) . Ici la toute– puissance divine, qui joue le rôle qu 'avait la fatalité dans le drame antique, triomphe sur la volonté des princes: elle domine toute la pièce et éclate partout, en imprimant à l'action un caractère mystérieux et grandiose, que les choeurs soulignent. Cette tragédie lyrique et biblique déborde de loin le cadre du Collège de Mme de Maintenon par les problèmes qu'elle soulève, et surtout par son intérêt politique (lutte entre la tyrannie et le droit à la vie d'un noble peuple; rapports de l'Eglise et de l'Etat ), aussi bien que religieux et humain (cruel dessein de la folle reine de (32) Au début de 1670, quand la seconde créatrice d'Andromaque, Mlle des Oeillets, tomba malade, son rôle fut confié à la charmante femme du très maladroit acteur Champmeslé. Lorsque Racine, qui était contraire au début de la jeune comédienne, vit que par son jeu elle soulevait l'enthousiasme des spectateurs, il en fut tellement ravi qu'après la repré– sentation il courut lui faire, à genoux, selon le témoignage des frères Parfait, « des compliments pour elle et des remerciements pour lui». C'est ainsi que commencèrent une liaison et une interprétation artistique qui vont C.:arer jusqu'à l'échec de Phèdre (1677). (33) Mme de Sévigné, lettre du 16 mars 1672. A propos de cette expression, nous tenons à souligner qu'au XVII' siècle le mot comédie a le sens de pièce, tragédie, etc... . Autre citation du même auteur: « Voilà Bajazet; si je pouvais vous envoyer la Champmeslé, vous trouveriez cette comédie belle » (Mme de Sévigné, Lettre du 9 mars 1672). (34) René Jasinski, o. c. page 168. La faiblesse de Racine, vis-à-vis des légèretés de la Champmeslé nous fait songer à celle de Molière devant la conduite frivole et coquette de sa très jeune femme, Armande Béjard : c'est là une des nombreuses affinités qui auraient dû amener les deux poètes, toujours archarnés l'un contre l'autre, à se comprendre et à s'aimer. (35) Mme de Sévigné, Lettre du 28 janvier 1691. (36) Voltaire, Nc:welle lettre à l'Académie Française pour la dédicace d'Irène, 1778.

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