BASA

Présence de Racine 133 Juda, qui adore un dieu différent, d'exterminer en ses petits-fils la lignée de David, d'où devait sortir le Rédempteur ). Cynique et tendre, avide et amer, Racine a aimé des créatures indignes de lui, tout en connaissant leur indignité, et même lorsqu'il s'enfonce dans le mal avec le désespoir d 'un « enfant du siècle », ce grand peintre des passions tragiques est conscient de se damner, car il garde au fond du coeur toute l'inquiétude qu'y a mise l 'éducation janséniste. Est-ce par la peur de mourir sans la grâce qu'il renonce brusquement au théâtre, à l'âge de trente-huit ans et en pleine possession de son génie ? Outragé par des cabales 37 qui en veulent à ses succès et à sa gloire, découragé par l'injustice et la violence des critiques, blessé probablement aussi par une nouvelle trahison de la Champmeslé, Racine quitte-t-il le monde du théâtre afin de s'adonner exclusivement à la charge d'historiographe que le roi vient de lui offrir en commun avec Boileau ? Se rend-il compte de l'incompatibilité morale entre sa dignité de membre de l'Académie Française ( 1672) et son activité théâtrale ? Entre ses fonctions d'histo– riographe, ses aspirations au titre de gentilhomme ordinaire 38 , et l'inconduite des coulisses ? Ou bien saisit-il déj à, surtout dans la crise économique et financière qui ne cesse de s'aggraver malgré les efforts de Colbert, des indices susceptibles de déterminer le retour de Louis XIV à une pratique plus stricte de la religion ? Toujours est-il qu'après Phèdre, peut-être touché par des scrupules religieux sur la légitimité d'un spec– tacle si attrayant mais bouleversant, il s'arrête comme s'il avait atteint la dernière et hideuse expression de la personnalité féminine, qu'à partir d'Andromaque il avait recherchée dans toutes ses créatures. D'ailleurs, à l'époque de Phèdre, les prédilections de la Cour et du public qui, par une réaction naturelle contre la conception héroïque et romanesque de Corneille, avaient jadis assuré le triomphe du système dramatique de Racine (où presque toujours l'amour joue un rôle violent ou coupable, jaloux au criminel), vont se tourner peu à peu vers l'opéra . (37) Presque toute pièce racinienne suscite des rivalités et des attaques bien souvent déloyales et injustes. Le Clerc (un regratteur de syllabes) et son ami Coras (un poète épique) n'eurent pourtant pas à se féliciter d'avoir opposé, neuf mois après, leur Iphigénie à celle de Racine, car celui-ci les honora promptement d'une cinglante épigramme, en applaudissant à leur four: « Coras lui dit: La pièce est de mon cru. 1 Le Clerc répond: Elle est mienne et non vôtre. 1 Mais aussitôt que l'ouvrage a paru, 1 Plus n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre 1 ». Par contre, en 1677, Pradon eut plus de succès que ses deux confrères, grâc.e à une cabale montée par la duchesse Marie-Anne de Bouillon (soeur cadette de Marie et d'Olympe Mancini) et par son frère, le duc de Nevers . Il n'est µas vrai toutefois que la médiocre Phèdre de Pradon fut accueillie triomphalement à !'Hôtel Guénégaud, tandis que l'homonyme chef-d'oeuvre racinien tombait en même temps à !'Hôtel de Bourgogne. <levant un public clairsemé ou prévenu. On sait aujourd'hui que les spectateurs, d'abord hésitants, finirent par rendre justice à la Phèdre de Racine, après un petit nombre de séances. (38) A propos de ce titre, dont le roi l'honore après la représentation d'Athalie, ses rivaux ne lui épargnent point leurs sarcasmes: « Racine, de ton Athalie 1 Le public fait bien peu de cas. 1 Ta fam ille en est anoblie, 1 Mais ton nom ne le sera pas. 1 »

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