BASA

136 L.-A. Co/liard sa merci et que c'est précisément B qu'il veut. Et en un sens la plupart des tragédies de Racine sont des viols virtuels: B n'échappe à A que par la mort, le crime, l'accident ou l'exil; lorsque la tragédie est oblative (Mithridate) ou réconciliée (Esther), ce n'est que par la mort du tyran (Mithridate) ou celle d'une victime expiatoire (Aman). Ce qui suspend le meurtre, l'immobilise, c'est une alternative: A est pour ainsi dire figé entre le meurtre et la générosité impossible; selon le schéma sartrien classique, c'est la liberté de B que A veut posséder par la force; autre– ment dit, il est engagé dans un paradoxe insoluble: s'il possède il détruit, s'il reconnaît, il se frustre; il ne peut choisir entre un pouvoir absolu et un amour absolu, entre le viol et l'oblation. La tragédie est précisément la représentation de cette immobilité » 49 • Par ailleurs, le même critique remarque que, dans ses rapports avec les autres, le héros racinien paraît faire preuve d'une cécité maniaque: « Phèdre croit Hippolyte amoureux de la terre entière sauf d'elle, Aman voit tous les hommes courbés autour de lui, sauf Mardochée; Oreste pense que Pyrrhus va épouser Hermione expressément pour l'en priver, Agrip– pine se persuade que Néron punit précisément ceux qu'elle soutient, Eriphile croit que les dieux favorisent Iphigénie uniquement pour la tourmenter » 50 . Est-ce donc là une forme de psychose paranoïaque ? Dans l'érotique racinienne, on dirait enfin que l'imagination est toujours rétrospective et que, par une sorte de transe, le passé redevient présent tout en gardant l'acuité d'une image réelle: « ainsi Néron revoit le moment où il est devenu amoureux de Junie, Eriphile celui où Achille l'a séduite, ... Bérénice revoit avec un trouble amoureux l'apothéose de Titus, Phèdre s'émeut de retrouver dans Hippolyte l'image de Thésée. » 51 . (49) R. Barthes, o. c., p. 37. On pourrait ajouter que Racine n'est pas seulement le poète de la «passion amoureuse» (Croce), mois aussi de la passion r.moureuse «déçue» (Îaxile, Pyrrhus, Antiochus, Roxane, Mithridate, Eriphile). C'est là une interprétation «utile per carat– terizzare un'arte che ad ogni generazione critica riappore intatta e nuova » (Cf. Franco S'.mone, Compte rendu de l'ouvrage de F.F. Freudmann, Les trois IJl"emières pièces de Racine: naissance et mise au point d'un procès dramatique, dans « Studi Francesi », n. 26, mai-aolit 1965. page 365, S.E.I., Turin). (50) Ibidem, p. 44. (51) Ibidem, p. 29.

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