BASA
Présence de Racine 137 En conclusion, l'originalité de Barthes réside dans le fait qu'il appli– que ses méthodes critiques au mythe racinien, «pour en déterminer non plus l'homme Racine, mais l'homme racinien » 52 , dans le seriS- qu'il prétend ignorer le poète et son époque pour se concentrer sur les person– nages de son théâtre. Plus que les nouvelles perspectives critiques qu'il nous laisse entre– voir, son essai vaut incontestablement par la profondeur et la finesse des aperçus, par l'originalité de l'analyse et le soin de l'écriture, toujours brillante et excitante. Il y a là non seulement une « méthode de lecture » 53 engagée, où toutes les vues de détail se rattachent à une sociologie de la littérature, mais encore une sorte de clef interprétative, nous aidant parfois à décrypter un langage, à analyser un comportement, à trouver une ré– ponse satisfaisante aux différentes hypothèses de travail. Malheureusement, comme on a pu le voir d'après les passages que nous venons de présenter, « la témérité des assertions 54 , la gratuité des para– doxes 55 , la contingence (savamment calculée) des prises de vue, pour ne pas parler de l'art d'utiliser les citations en à-côté de leur sens, sont telles qu'il faudrait souvent dix pages pour en commenter ou en discuter une » 56 • Dans l'ensemble, malgré ces réserves, cet ouvrage - vraiment pas– sionnant pour qui veut réfléchir sur le mystère de la création artistique - tient compte de tout ce que le langage racinien révèle et de tout ce qu'il pourrait dissimuler, et nous amène parfois à des découvertes structurales (52) Combat, 30 mai 1963. (53) Yves Velan, La Gazette de Lausanne, 5 aoC1t 1963. (54) Voici un exemple des nombreuses généralisations téméraires qui ébranlent la cohérence de la méthode de Barthes: «L'habitat racinien ne connaît qu'un seul rêve de fuite: la mer, les vaisseaux: dans Iphigénie, tout un peuple reste prisonnier de la tragédie parce que le vent ne se lève pas» (p. 15). (55) Voici quelques exemples, choisis au hasard, des paradoxes ou pseudo-paradoxes dont Barthes se sert à dessein pour frapper le lecteur: - « ... La lutte inexpiable du père et du fils est celle de Dieu et de la créature» (p. 49). - « ... on peut dire que la tragédie racinienne est l'art de la méchanceté » (p. 53 ). - « ... !'Eros racinien ne met les corps en présence que pour les défaire» (p. 28). - « ... définition du héros tragique: il est !'enfermé, celui qui ne peut sortir sans mourir: sa limite est son privilège, la captivité sa distinction » (p. 20). Dans son examen méthodologique des thèses de Barthes, M. Raymond Picard, dont la position est nettement polémique à l'égard de la « ê\Jouvelle Critique», déclare que les affir– mations contenues dans cet ouvrage appartiendraient le plus souvent à deux registres. « Le' unes sont (pour écrire un peu à sa manière) d'ordre vaticina!; sans intérêt explicatif, en général peu claires et légèrement insolites, ces révélations oraculaires doivent être acceptées telles quelles par le fidèle. Les autres, accompagnées de raisons et d'exemples, sont susceptibles de contrôle: on découvre par malheur qu'elles reposent sur des fondements étonnament futiles ». (Cf. R. Picard, Racine et la « Nouvelle Critique », dans « Revue des sciences humaines », Paris, n. 117, janvier-mars 1965, pp. 29-49). (56) Pierre-Henri Simon, Le Monde, 12 juin 1963.
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