BASA
Les Valdôtains, les Suisses et les tunnels alpins 283 C'est également à ces prem1eres prises de contact entre régions JUS– qu 'ici étrangères pour ainsi dire l'une à l'autre en raison de l'effroi sus– cité par les hautes montagnes que l'on doit l'étonnante prédiction qui s'accomplit aujourd'hui, près de deux siècles plus tard. Le célèbre naturaliste note dans ses mémoires - aujourd'hui con– servés à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève -: « Je vois deux vallées où l'on parle la même langue, les peuples sont les mêmes. Un jour viendra où l'on creusera sous le Mont-Blanc une voie charretière, et ces deux vallées, la vallée de Chamonix et la vallée d'Aoste, seront unies. » 3 Il convient d'observer qu'en ce temps-là le chemin de fer - à qui la faible constitution originelle interdisait des rampes trop fortes, ce qui devait nécessiter de grands travaux d'art - n 'était pas encore apparu sur le continent, ni même en Angleterre où il est né des nécessités de l'exploitation des mines. Certes, le percement des montagnes n 'était pas à proprement parler une innovation au temps de de Saussure: l'antiquité égyptienne, grecque et romaine avait connu des galeries routières, hydrauliques et minières; par la suite, d'importants forages avaient été entrepris, tels, en Saxe, ceux de la mine Joseph II qui devait atteindre dix-huit kilomètres. Quoi qu'il en soit, on demeure confondu devant la perspicacité du naturaliste genevois qui, presque deux siècles à l'avance, sut indiquer à ses descendants l'emplacement le plus convenable pour une percée alpine. Coïncidence, ou effet d'un singulier phénomène de transmission de pensée? Cette idée d'un percement possible du Mont-Blanc, nous la voyons reprise au début du XIX 0 siècle par des habitants de la Vallée d'Aoste. Lors du retour des provinces sardes à la Maison de Savoie, en 1814, le village de Courmayeur, invité comme d'autres à s'associer au plan d'amé– liorations et de réformes destiné à enlever aux populations tout regret (3) Cette prophétie, quoique confiée à la discrétion d'un journal intime, et ainsi sous– traite à l'attention des biographes les plus avisés du savant genevois dont on est d'ailleurs loin d'avoir publié !'oeuvre entière, semble être parvenue assez tôt, sans doute avec la compli– cité d'un des dépositaires des précieux manuscrits, à franchir les montagnes. Elle n'a pas échappé, en tout cas, à la sagacité de l'auteur de la préface au Proiet d'un chemin de fer international. par la chaîne du Mont-Blanc, de l'ingénieur piémontais Joseph BoNELLI, projet conçu en 1858 et publié à Turin en 1880 . On lit, p. II , sous la plume de J.-0. MELLÉ, que l'idée « de la percée du Mont-Blanc est née en germe dans l'imagination d'un ami de nos montagnes, le célèbre de Saussure. Tout savant qu'il était, il ne la lança que comme un simple rêve, loin de se douter, comme ceux qui l'ont recuei llie plus tard, qu'elle dût grandir au point d'intér·esser l'Europe entière et que les progrès de la science devraient un jour en assurer la réalisation. » Par la suite, BERGE, Govr et nombre d'autres protagonistes du percement du Mont-Blanc allaient attribuer à raison à de Saussure la paternité de l'idée du tunnel.
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