BASA
34 L.-A. Colliard En quoi consiste donc la nouveauté de mon sujet, qm est - je tiens à le souligner - un sujet vierge ? C'est que jusqu'à présent personne n 'a jamais étudié les rapports en– tre Paul Claudel et Alice Meynell, la meilleure amie de Co– ventry Patmore. Bien plus, la critique ne s'est même pas demandé si la poétesse anglaise Alice Meynell a réalisé une traduction partielle ou intégrale de L'Otage. Par sa lettre inédite du 6 mai 1912 , Paul Claudel ex– plique à Alice Meynell dans quelles circonstances il a com– mencé, à ]'Abbaye de Solesmes, sa traduction de quelques poèmes de Coventry Patmore, et lui livre ses idées sur l'art de la tradcution : «Vous savez qu'on m'a reproché un manque parfois de fidélité littéraire, mais j'ai traduit Patmore comme je voudrais être traduit moi-même, moins par le dictionnaire que par le coeur, en contemplant longuement le texte, en le repensant mot à mot, en recréant les mêmes pensées et en essayant de les rendre esuite par les mots d'une autre langue». Or, cette confidence de Claudel présente, à mon sens, un certain intérêt, parce qu'elle ranime un débat qui a tou– jours été au centre des problèmes rencontrés par le traduc– teur d'oeuvres poétiques. Celui-ci doit-il respecter les moin– dres nuances de son modèle, au risque d'alourdir son texte, ou doit-il façonner une œuvre d'art qui rappellera l'origi– nal dans ses grandes lignes, mais dont le détail fera appel à des tournures , voire à des images propres au génie de la langue de traduction ? Ou, ce qui revient au même, un poète est-il plus ou moins qualifié qu'un linguiste pour tra– duire une œuvre d'art ? Comme je l'ai expliqué dans l'Introduction de ma thè– se, cette question revêt une importance particulière pour Claudel, qui avait traduit l'Agamemnon d'Eschyle dès 1893, et qui complètera vingt ans plus tard (1913) la traduction de la trilogie L'Orestie (Choéphores, Euménides), où se manifeste tout entier le génie du père de la tragédie grec– que . Entretemps, il avait également traduit de l'anglais des passages d'Orthodoxy de Chesterton, et surtout neuf poè– mes de Coventry Patmore.
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