BASA
Commémoration de M. Ernest Page 19 lui, ressemble à l'ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. C'est pourquoi, ayant un désir profond d'être bon historien, je ne veux pas termi– ner cette commémoration sans citer quelques traits de l'hom– me Ernest Page. Une anecdote sur sa profession d'avocat, par exemple. Un jour un client s'était présenté dans son bureau pour por– ter plainte contre son voisin. Eh bien, contre tout intérêt professionnel, notre ami n'avait pas hésité à le mettre à la porte assez brusquement quand il s'était rendu compte que l'action pour laquelle on demandait son intervention ne s'ac– cordait pas avec la justice et ses principes moraux. J'ai eu l'occasion l'été passé de passer une semaine dans la solitude de l'alpage de Plontaz, à 2100 m d'altitude, dans le haut Valgrisenche, en compagnie d'Ernest Page et d'une personne qui m'était chère, disparue elle aussi de la scène de ce monde ces derniers temps, précisément onze jours a– vant le décès de notre ami. C'est à Plontaz que j'ai connu un aspect ignoré d'Ernest Page, qui pourrait expliquer beaucoup de choses sur sa personnalité. J'ai connu à Plontaz un vrai montagnard valdôtain. Un vieux montagnard qui se préoccu– pait des travaux de réfection d'un tramail; qui mettait de côté, en passant sur les sentiers, les pierres pour que ces sen– tiers soient bien entretenus; qui ramassait les pierres que la neige de l'hiver avait traînées dans les pâturages, pour que quelques brins d'herbe en plus soient disponibles pour le bé– tail. Oh, que oui, des brins d'herbe de nulle importance, mais c'est par ce moyen, le long des siècles, que l'homme a conquis les alpages de haute montagne. J'ai connu à Plontaz le vieux montagnard qui évoquait avec tristesse l'abandon de la montagne de la part de nos populations; qui me racontait comment, dans les temps passés, des comitives d'avocats, de juges et d'autres citadins lui rendaient visite dans son alpage et passaient la journée à arracher des rhododendrons et des genièvres pour élargir la superficie des pâturages. « Vous voyez ce pré, me disait-il, c'est nous qui l'avons réalisé».
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