BASA
80 F. Brunner perspective, qui exclut celle de la participation, on n'a plus affaire qu'aux éléments d'une suite qu'Anselme affirme arbitrairement limi– tée selon « le préjugé du nombre fini » (p. 130 ). N'y a-t-il pas cependant des raisons qui pouvaient pousser Anselme à raisonner par l'impossibilité de la régression à l'infini? D'abord l'expérience suggère que la chaîne des perfections est finie: le monde nous apparaît comme une pluralité finie de natures finies (l'arbre, le cheval, l'homme, le ciel). Ensuite, s'il est vrai que, dans le domaine de l'étendue et de la quantité pure, on ne peut concevoir de limite, une borne s'impose au contraire dans l'ordre de la valeur, puisque tout jugement de valeur se réfère à un idéal de perfection. 5 Or, parler de l'arbre, du cheval et de l'homme, comme le fait Ansel– me, c'est introduire une hiérarchie de perfections au sein de la bonté et de la grandeur, comme le montre la fin du chapitre: « C'est donc qu'il y a une Nature, ou Substance ou Essence, qui est par elle– même bonne et grande, source de ce qu'elle est et par Laquelle tout est grand et bon et ce qu'il est ». 6 La pluralité des degrés va donc de pair ici avec la gradatio au sein de perfections données. 7) L'argument du Proslogion est-il vraiment une preuve? Vuillemin le pense qui parle d' « une preuve rationnelle à partir d'une donnée elle-même rationnelle, même si elle doit être ranimée par la foi» (p. 133). S'agit-il cependant d'un simple mécanisme logique sans que le contenu de la pensée intervienne? Peut-être que la foi qui ravive la donnée rationnelle ne cesse d'être présente en quelque façon. Peut-être que la compréhension de la foi ne se ramène pas à n'importe quel savoir rationnel et qu'elle est une compréhension ad hoc. Il est vrai qu'Anselme s'adresse à un incroyant et ne peut donc postuler la foi pour la démontrer. Mais aussi bien n'écrit-il pas un ouvrage d'apologétique; il s'adresse moins à un incroyant pur et simple qu'à un croyant qui a des doutes ou à un croyant qui veut prendre conscience de la structure rationnelle de sa foi. En un mot, la mention de l'incroyant est dans une certaine mesure un procédé d'exposition. 5 Cf. Joseph MOREAU, Pour ou contre l'insensé? Essai sur la preuve anselmienne, Paris 1967, pp. 70-71. • Trad. Pierre ROUSSEAU, Oeuvres philosophiques de saint Anselme, Paris 1947, p. 79.
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