BASA

146 C. Gagnon l'image fictive justement. Pour Anselme, la possibilité de penser une image fictive (le Tableau) requière évidemment la possibilité de la non-existence de l'être correspondant dans la réalité: c'est là la logique même de la contingence. L'exemple du Tableau n'est donc avancé que pour figurer, par la négative, l'impossibilité de la fiction lorsqu'il s'agit de penser l'image de l'être nécessaire. Pour Gaunilon, au contraire, la seule possibilité de penser une image fictive (l'I1e) élimine la possibilité d'accorder la nécessité de l'existence dans la réalité à un être correspondant à quelqu'image que ce soit. Pour Anselme, l'être nécessaire ne peut être que visionné; pour Gaunilon, il peut être imaginé. A ce stade, la question déborde dans la vieille querelle théologique de l'icone. Quoiqu'il en soit, le décalage entre les deux façons de com– prendre les deux exemples analysés ci-dessus me semble suffisant pour permettre d'avancer qu'il y a brouillage (malentendu ou dés– accord) au niveau de la transmission (émission ou réception) de l'argument. Peu importe ici que ce dernier ait été valable ou pas: nous avons affaire à une formation discursive qui a échoué. La longue liste des lecteurs-détracteurs de l'argument en sont la preuve historique. Un commentateur contemporain a d'ailleurs bien résumé le drame qui s'est déroulé au niveau du rapport pédagogique vécu par Anselme et Gaunilon, ce dernier jouant le rôle du premier lecteur. 23 On peut même ajouter que ce rapport pédagogique ~st violent. Sachant fort bien qu'il s'agit d'un rapport de force ( mihi velit " « Anselme ne se considère pas comme battu, mais comme incompris et caricaturé par Gaunilon »; « Le dialogue entre Anselme et Gaunilon n'est pas toujours limpide; il est même, par endroits, passablement obscur; on a le sentiment d'observer deux pensées 'qui se cherchent sans parvenir à s'exprimer pleinement»; « ...célèbre débat entre Anselme et Gaunilon » écrit Fernand VAN STEENBERGHEN dans Pour ou contre l'insensé: Revue Philosophique de Louvain, 66, (1968) p. 272; p. 269; p. 272; p. 281 note 8. Un autre commentateur, André Th. Audet, souligne, fort justement à mon avis, que la question est travaillée par Anselme parce qu'il y a émergence d'une question, la négation de l'insensé. Cf. AuDET (André Th.), Une source augustinienne de l'argument de saint Anselme, dans: Etienne Gilson, philosophe de la Chrétienté (Rencontres, 30), Paris, chez Cerf, 1949, pp. 105 à 142; rapporté dans CoENRAETS (M.), op. cit., tome II, pp. 336 à 349. Toutes ces observations montrent bien l'importance du mode de communication dans l'énergétique de l'argument.

RkJQdWJsaXNoZXIy NzY4MjI=