Bibliotheque de l Archivum Augustanim - 01/05/1985

Etudes d'Histoire Valdôtaine 289 raines familles du bourg, Lino faisait de temps à autre quelques brèves apparitions à Chambave, où, entre-temps, ma famille s'était établie. Dans ces circonstances, Lino ne manquait jamais de nous honorer de son aimable visite, accompagnée d'un casse-croûte qu'on arrosait de quelques verres du cru de Grenella, que notre hôte, en paraphrasant Redi, définissait le «Montepulciano» des vins valdô– tains! Courts et sereins entretiens, marqués au coin de la plus franche amitié. Souvenirs lointains: le «préside» Giuliani, les professeurs Val– busa, Menozzi, le «terrible» Tartara, les camarades péris tragique- ment, les rares survivants.. . l'«excursionnisme» ... l'histoire locale.. . la Basse Vallée... les intérêts du Pays... et encore souvenirs, souvenirs... ! Le tout exprimé dans ce langage savoureux des patois de Champ– depraz et d'Hône qui, à mes oreilles enfantines, habituées au piémontais du bourg de Donnas et aux douces inflexions du paroi~ de Chambave, paraissait quelque peu «sauvage». Parfois, la conver– sation entre Lino et mon père prenait des tons plus graves; elle se déroulait alors en français; à mon grand regret, car, enfant de mon temps, je n'y comprenais, je l'avoue, absolument rien. J'avais cependant l'intuition de l'importance des sujets traités. Après la guerre, jeune étudiant à Ivrée, je pus finalement prendre part à quelques-unes de ces conversations, on ne peut plus intéres– santes: religion, philosophie, politique. Ce qui m'a toujours vive– ment frappé, c'est que, de part et d'autre, on abordait ces discussions avec une franchise, une délicatesse et une compréhension qui ne pouvaient qu'honorer hautement les deux interlocuteurs. Tout, ou presque tout, dans la tradition séculaire de ma famille s'opposait aux principes idéologiques et politiques professés par Lino Bine!. Si une leçon sublime s'est gravée dans mon esprit, leçon de laquelle je ne me suis jamais plus départi, c'est bien celle qui a jailli de ces conversations: la force de l'amitié qui surmonte tout obstacle et polémique contingente; l'esprit de tolérance réciproque; le respect pour les opinions divergentes. Rarement peut-être, le De Amicitia cicéronien n'a trouvé une. plus explicite concrétisation, que celle qui s'est produite entre notre regretté Ami·et ma famille, au cours de plus de soixante ans.

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