Les franchises du Mandement de Brissogne 71 naître son autorité: «ces hommes qui étaient rebelles et qui avaient refusé de "faire la fidélité" au seigneur qui ne voulait pas prêter serment n'encourront pour ce motif ni peine ni cause d'ingratitude soit félonie, 54 ni ne pourront être punis ou condamnés ès leurs personnes, biens ou fiefs, mais leur droit restera intègre et sauf. Et la durée [de la rébellion] ne leur sera imputée ni ne leur nuira». On peut se demander quelle pouvait être la portée effective de ces normes, en cas de contraste aigu entre les seigneurs et leurs sujets. C'est un problème complexe, qui dépasse le plan juridique pour atteindre celui des rapports et des équilibres politiques entre les forces sociales de l'époque (souverain, seigneurs laïcs ou ecclésiastiques et classes populaires). Nous avons vu que, en Vallée d'Aoste comme ailleurs, les communautés rurales n'étaient pas aussi pauvres et soumises (ni si homogènes) qu'on le croit souvent et qu'elles - représentées par leurs membres les plus riches et influents - n'hésitaient pas à s'opposer au pouvoir seigneurial, lorsque celui-ci donnait des signes de faiblesse (et le cas n'était pas rare). De même, il ne faut pas imaginer la classe seigneuriale comme une consorterie compacte et disciplinée, unie dans la défense des intérêts de classe sous l'incontestée et bienveillante autorité des comtes de Savoie. Bien au contraire, les fréquentes luttes des bannerets entre eux ou même contre leur suzerain témoignent d'une situation plutôt instable, qui laissait aux communautés locales une certaine marge d'intervention dans la détermination des équilibres politico-sociaux. Le rôle d'arbitrage et la politique de progressive «domanialisation» des seigneuries valdôtaines que la Maison de Savoie exerçait et que nous avons évoqués, connurent des moments de crise aiguë: pour ne faire qu'un exemple, les seigneurs de la Basse Vallée attaquèrent au moins trois fois, en cinquante ans, la seigneurie de Bard, bien après qu'elle fût entrée dans le domaine direct du comte.55 De même, les guerres guerroyées que les seigneurs hauts 54 La félonie ou ingratitude comportait la confiscation du fief détenu par le feudatarie «félon»; et le refus réitéré de la fidélité due au seigneur était justement l'une des causes de félonie (cf. Corpus Iuris Civilis, Feudorum consuetudines, lib. II, tit. XXIV, § 1). 55 En 1277 par Perceval, Arduce et Jacques coseigneurs de Pont-Saint-Martin; en 1305 et en 1325 encore par les seigneurs de Pont-Saint-Martin et par ceux de Vallaise. Ces derniers avaient d'ailleurs participé, paraît-il, à un complot pour s'emparer du château de Bard en 1324 aussi. (T. TrnALDI, La regione d'Aosta attraverso i secoli, parte II; [Torino] 1902, pp. 328 et 338-339).
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