22 Le Flambeau - 12

M. F. F. Tuckett, à des morceaux de pain dur et de viande salée crue et sèche. Les noix et le pain dur ramolli à une bonne source fraiche peuvent etre utilement conseillés à tout le monde; je ne puis raison– nablement me permettre qu'à moi seui l'usage de la motzetta pour les ascensions. On prétend qu'elle altère, qu'elle est indigeste, etc. M. Gaspard doit actuellement partager cet avis; je trouve simplement qu'elle est savoureuse et qu'elle nourrit fort bien sous un petit vo– lume. A chacun son estomac et ses habitudes. De longtemps je n'oublierai combien le curé de St-Pierre rajeu– nissait et devenait poétique devant cette source fraiche et limpide jaillissant du rocher. Si on pouvait la transporter en plaine avec sa fraicheur et son rocher ! S'il pouvait l'avoir à sa cure ! Les eaux que l'on est condamné à boire par là-bas, comme elles sont tièdes, trou– bles, insipides, fades, maussades, boueuses, pourries ! Nous, alpi– nistes, nous avons perdu cette fraicheur, cette candeur, ce parfum des impressions de la montagne; nous jouissons, mais non plus au meme degré d'orgasme qu'une ame poétique et bien douée que les de– voirs de l'état condamnent à n'en jouir que par échappées furtives et lointaines. Pour moi, je jouissais plus en ce moment de voir jouir mon compagnon que d'un spectacle que je renouvelais presque chaque jour ça et là. Je me rapportais en esprit à ces temps comiques du col– lège où l'on nous obligeait à chanter par des phrases boursoufflées les beautés et les agréments de la vie champetre, desquels nous n'avions alors d'autres idées que celles de la bonne inspiration de nos parents à nous y soustraire et de l'ingénue candeur de nos professeurs à nous exciter, par contre-coup et sympathie, à maudire notre état in– champetre et leurs férules et leurs pensums, et leurs ablatifs absolus, et leuts que retranchés et tout leur attirai! grammatica!. Je me trouvais ici à admirer et contempler M. Gaspard me défilant des exclamations, des extases, des souhaits, des soupirs, des comparaisons, des souve– nirs, des béatitudes que j'avais les peines les plus ingrates et les plus prosai:ques à enfiler dans ces temps de phrases sans idées que l'on est convenu d'appeler: l' éducation littéraire: Savoir parler bien avant de savoir que dire ! On s'en ressent. Nous détachant avec regret de notre bonne fontaine, de son roe et de son lac, nous nous dirigeons sur l'arete qui se trouve à notre gauche, nous la dépassons en continuant à monter et nous parvenons bientòt à un beau lac qui nous parut fort profond et qui était encore en partie recouvert de glaces et de neiges. Ce lac se trouve sur le terri– toire de Saint-Pierre, à la base meme du Mont Fallère. On l'appelle: le lac des morts ! ! Pourquoi ? Il doit bien y avoir un motif pour cette appellation sinistre. Malheureusement le légendaire de la vallée d'Aos– te est encore complètement à écrire et peut-etre ne le sera-t-il jamais. Si je pouvais me permettre une année de résidence tranquille quel– que part, fU.t-ce dans une prison, je voudrais hasarder ce travail. Il y -128-

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