22 Le Flambeau - 12

' faites jusqu'ici, à décrire ce que l'on voit par terre, au lieu de s'épa- nouir en face de ce que l'on aperçoit en l'air. Il faut que j'en re– vienne à penser par moi-meme età ma façon, dussé-je sur le parcours, me trouver d'accord avec quelqu'un. J'oubliais déjà ici de te faire oh– server que si du Fallère on voit le fond, le thalweg des vallées, on en aperçoit aussi f9rt bien les sommités; si le temps est serein, bien en– tendu. Les panoramas ont été, sont et seront beaux partout et tou– jours; il ne s'agit que de savoir les regarder et de ne leur demander que ce que vous voulez qu'ils vous donnent, et c'est là que le narrateur se brouille et ne s'entend plus avec son auditeur ou son lecteur. Cha– que point de vue a sa spécialité. Vous montez sur les plus hautes cimes, le Mont-Blanc, le Mont-Rose, le Cervin, le Grand-Paradis, le Combin, la Meije, etc., à force de fatigues, de peines, de cordes, de guides, de soupirs, de découragements, de cordiaux, et vous voilà les maitres de la nature: le panorama qui vous frappe le plus alors, c'est votre propre valeur et une dose de mépris pour ceux qui ne peuvent parvenir jusque là. Tenir le monde sous ses pieds, c'est bien quelque chose. Dès lors, aidés de ce prisme, vous voyez tout ce que vous vou– lez. Vos professeurs de géographie étaient bien simples de vous parler de la forme de la terre et de vous faire croire que les montagnes n'é– taient que comme les aspérités d;une écorce d'orange. C'est bien autre chose que cela, la nature est malade, elles est toute recouverte d'é– normes furoncles suppurant les torrents et qu'exploitent les géolo– gues; une vapeur lointaine, c'est la mer, un nuage à votre zénith, c'est un mirage, un chouchas sur votre tete, ce sont les antipodes, une ville dans la vallée, c'est une conquille, un créancier dans la plaine, c'est un gnome, moins que cela, un atome infime et crochu. Vous jouissez, là-haut, de tous les avantages des professeurs de la langue sanscrite qui expliquent tout ce qu'aucun ne comprend ni vous ni les autres. Et l'avantage de n'avoir que des guides salariés, discrets et in– téressés à cacher toutes les piteuses figures que vous avez faites et décrites pendant l'ascension et que vous doublerez à la descente. Parmi tant d'autres choses, il y en a une que je n'ai jamais su bien m'expliquer: c'est la satisfaction intime des ascensionnistes lorsque les guides leur font des compliments sur le courage, la force et la valeur qu'ils ont démontrés : pour moi, il me parait qùe tout cela doit toujours se traduire de cette façon: que vous etes encore de piètres grimpeurs en comparaison de nous ! Grimpez sur le moindre pie quelconque, vous aurez toujours l'avantage d'avoir votre horizon ou large, ou étroit; s'il est large, vous promenez vos regards et par ci, et par là; s'il est étroit, vous étudiez les moindres détails et vous découvrez des beautés que vous n'auriez su surprendre sans le cadre et alors vous dites fièrement: qui trop embrasse, mal étreint. -135-

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