22 Le Flambeau - 12

Mais le jeune homme hochait la tete: - Jamais la vie ne rejaillira de cette terre, j'ai dit qu'elle est mor– te, desséchée par le vent et le so– leil. Bientòt elle sera envahie par les buissons et les haies épineu– ses. Il se tut un instant, puis il re– prit, mais plus pour lui-meme que pour l'autre: - C'était une vie de bete... et les jeunes gens ont fui vers la val– lée; les vieux seui sont restés... grand-père aussi, et le village est mort. Le vieux, qui jusqu'à ce mo– ment-là avait gardé l'immobilité et le calme, parut en proie à la colère: - Non ! Ceux qui ont fui sont morts. Toi aussi tu es mort. Re– garde-toi, tu as un visage d'enfant et tes cheveux ont déjà du blanc ! - De la poussière, peut-etre - dit le jeune homme en se bros– sant les cheveux d'une main. - OUI, de la poussière du temps ! Mais tu es mort car tu as peur de la terre, de la fatigue qui te fait pencher vers elle, tu as peur de sa pauvreté ! - J'ai peur, oui, dit le jeune homme avec désespoir, tout le monde a peur; vous aussi vous a– viez peur, de l'orage, du soleil ar– dent, de la mort bianche. Il continua avec achamement: - J'ai peur, mais j'aime la vie quand meme, j'aime l'espoir, j'ai– me les hommes qui ont peur, j'ai– me aussi la terre... Ce n'est pas moi qui l'ai quittée, c'est elle qui m'a trahi. Elle voulait me faire crever de misère, elle voulait me ronger par sa fatigue brutale jus– qu'à ce que mon corps en fut des– séché. Elle voulait me faire vivre camme une bete. Le jeune homme se tut, troublé; le vieux le regardait fixement. Il y eut un long instant de silence. Le vieux connaissait bien le tour– ment du jeune homme, mais lui aussi était étonné de la foi qui al– lumait son regard. -Et maintenant comment vis– tu ? L'angoisse ronge ton coeur ! Ce disant il leva contre le jeune homme ses doigts osseux. Tu as cherché le bonheur là-bas et tu ne l'as pas trouvé. A pré– sent tu n'y ·crois plus. Mais le bonheur est ici, dans la terre que t'ont laissée tes vieux. Ici tu seras toujour sur que le soleil se lève et se couche pour toi aussi et puis à chaque instant tu toucheras à la vie. Le vieux avança terrible: - Mais toi tu touches aux ma– chines, là-bas, et elles sont mor– tes; tes mains aussi sont mortes car elles n'ont pas aimé la terre, elles n'ont pas de croute rousse · sous les ongles, elles sont pales comme le visage. des morts. Tes mains sont mortes, tu es mort ! On t'ensevelira dans le marbre et le marbre est froid; tu ne con– naitras jamais la douceur de la ter– re et les vers te mangeront quand meme! Le jeune homme recula: le vieux était un géant, sa voix ter- 53-

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