21 Le Flambeau - 03

L'homme du peuple, qui représente au moins le 90% de la population, aurait diì en sortir annobli. La Cité terrestre est, bien siìr, un lieu de passage, de pré– paration, de réflexion, en vue d'une Cité supérieure, la Cité céleste, où le bon– heur n'aura pas de fin. Une certaine expiation est nécessaire pour que l'horn– me puisse racheter cette portion de péché origine! pas rnieux défini qui est en un chacun d'entre nous et mériter ainsi le salut éternel dans la contemplation indescriptible de la face du Dieu créateur. Mais la superstition, le fatalisme sé– vissent aussi auprès de ces hommes, de ces déshérités, dont la condition sem– blerait sans issue, car ils sont laissés dans l'ignorance, dans l'abjection la plus complète. Ils ne sont que des outils livrés à la cupidité des puissants, à leur be– soin de grandeur. Leur souffrances n'ont pas de rançon; ils ne sont faits que pour travailler et servir. C'est le credere, obbedire e tacere, de mussolinienne mémoire, mais porté à ses conséquences !es plus inhumaines. Et pourtant, au-delà de ce tableau aux couleurs décevantes, au semblant immuable, une nouvelle spéculation philosophique et culturelle s'amorce. De l'inquiétude qui sourd de ces temps très durs pour une humanité souffrante jusqu'à l'invraisemblable, va naltre lentement un esprit critique plus accentué, une première tendance généralisée à la contestation. La compréhension qu'il existe quand meme un ordre nature[ implicite dans la création, duquel descen– dent des voies "plus honnetes" permettant d'atteindre, ou pour le moins d'en– trevoir, !es fondements d'une éthique et d'une foi meilleures; celle non moins importante et révolutionnaire qui consiste désormais à repérer dans le Christ souffrant, mais symbole d'espérance, un ami fraterne! avec !eque! l'homme peut tenter de dialoguer; celle par exemple de cet Abélard qui affirme, après une lecture attentive des Evangiles, que la faute de l'humanité n'est pas dans !es actes, m.ais dans !es intentions, !es réflexions de Thomas d' Aquin et d'An– selme d' Aoste; la dirninution toujours plus sensible de l'autorité impériale; la découverte progressive de l'immensité, de la diversité, de la .complexité de la création; la nouvelle conscience que l' univers est rempli d'hommes qui refu– sent d'écouter le message du Christ et que, pour qu'ils l'écoutent, il faut modi– fier !es stratégies qui jusqu'alors plaçaient l'Eglise au centre du monde et fi– xaient le point culrninant de son enseignement dans la contemplation et la re– nonciation; !es scandales que ne cessent pas de promouvoir.les luttes entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel; tout cela, et bien d'autres ferments in– tellectuels encore, dans des coins isolés des villes et dans des cellules de mo– nastères, vont saper, avec une lenteur qui paralt agaçante pour des observa– teurs trop pressés, mais qui n' en seront pas moins promettantes pour cela, !es assises de l'ancienne vision du phénomène humain qui avait jusqu'alors pré– valu. Ce furent peur-etre !es ecclésiastiques pauvres et déshérités comme leurs ouailles de nos montagnes, !es seuls pédagogues du moment, qui furent doci– lement, insensiblement, !es médiateurs de l'irréversible transformation intel– lectuelle, sociale, éconornique et politique qui s'ensuivit. Nous ne le savons . pas. Mais l'historien a, avant tout, le devoir d ' ordonner !es faits qui tombent sous son observation, de créer entre eux des relations et d'introduire une logi– que dans cette taxonomie. Des faits de microhistoire, comme ceux que nous avons essayé d'illustrer tout le long de ce texte, permettent déjà de saisir par la pensée, surtout à tra- 124

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