21 Le Flambeau - 03
patois valdotain). On les laissait sans surveillance. Munì de jumelles, on obser– vait presque quotidiennement leurs déplacements. On leur apportait cependant plusieurs fois le sel, et on les dénombrait aussi, pour vérifier si certaines n' avaient pas péri. Parfois, au creur de l'été, sous l'effet de la chaleur, ces animaux pre– naient le chemin des rochers, à la recherche d' une température plus douce. La brebis est un animai qui descend difficilement en été, quand on la laisse vivre à l'état libre en haute montagne; il grimpe toujours plus haut. Il arrivait souvent que certains exemplaires se trouvaient coincés dans des impasses où il leur était impossible de se déplacer encore. Des hommes expérimentés grimpaient alors parmi ces rochers avec des cordes, pour les décordé. C'était une gymnastique dangereuse, à la portée seulement de véritables connaisseurs de la montagne. Pour ce que j 'en sais, ces hommes exerçaient cette performance gratuitement. On a toujours affmné, à Oyace, que si une brebis ne profitait pas en été, il ne fallait pas se plaindre, elle serait redescendue au début de l'automne saine et sauve. Au cours des demières années de la dernière guerre mondiale, ma famille possédait deux agneaux, un blanc, l' autre noir. Ils redescendirent guère plus gros que lors– qu'ils étaient montés. Nous les tufunes à la Noel suivante, pour conserver de la viande salée et ce fut un véritable régal auquel nous n'étions pas habitués. Certai– nes brebis "dérochaient" (du verbe dérotsé, précipiter d ' un rocher). Ces animaux, au cours des joumées ensoleillées, ont l'habitude de tsoumé, c'est-à-dire de se réunir et de se presser en tas ensemble, l'un faisant de l'ombre à l'autre, car au– dessus de la limite des forets, l'ombre est pratiquement inexistante sur les en– droits herbeux. Comme ces lieux sont presque quasiment en forte pente, en se pressant, une brebis ou des brebis risquaient de précipiter et de trouver la mort. C'était des pertes pour le propriétaire. Les chèvres, de leur c6té, étaient envoyées à l'alpage, à cause de leur lait. Comme elles savaient grimper avec beaucoup plus d'aisance que les brebis, on leur faisait pa!tre les zones herbeuses inaccessibles aux vaches, -Ies fortes productrices de lait et de ses produits dérivés. Certaines de ces ohè:v.res,étaient munies d'une clochette, appelée tataque à Oyace, onomatopée servant·à rap– peler leur son felé, attachée à une courroie de bois appelée tsenevalla. Les bre– bis, elles, ne portaient rien attaché au cou. Lorsque les brebis avaient un berger, celui-ci était appelé fèyan, par con– tre le berger de chèvres était appelé tsèrié et le troupeau de chèvres tsèrieri. Cerlogne cite aussi coloche pour troupeau de brebis et de chèvres, et coloche pour le berger de ces animaux. Il était interdit de pa!tre les betse dans les forets, car elles détruisaient les jeunes pousses. Cette digression nous a permis de saisir par la pensée que les brebis et les chèvres, malgré leur utilité, n'étaient pas traitées, en fait d'alimentation, au meme niveau que la vache. D'ailleurs, ce sont des animaux domestiques qu'il est facile de nourrir, car ils se contentent de peu. Voilà pourquoi on confec– tionnait des javelles de feuilles, de façon à économiser un peu sur le foin, ali– ment indispensable aux vaches. Ces javelles de feuilles étaient d'autre part pour les betse une véritable délice. Et puis les javelles foumissaient du menu bois pour allumer le feu. Ainsi, dans le régime presque autarcique de nos de– vanciers, rien n' allait perdu. Mais - et voilà le point crucial du problème socio-économique que nous voulons poser- où allait-on confectionner ces javelles de feuilles? Sur la 37
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