21 Le Flambeau - 03
LE SECRET DU CRESTAS Le soir du 11 novembre, Monsieur Martin Chenuil avait coutume d'invi– ter ses amis et leurs femmes pour feter la Saint-Martin. Ce 11 novembre de I'année 1880, se trouvaient donc réunis chez lui, Don Louis Vescoz, curé de Pont-Saint-Martin, le docteur Baraing, le notaire Porté, Pierre Héréraz, leurs épouses et quelques autres jeunes personnes. La joumée- une joumée de foire de bétail, la demière de I'année -, s'était écoulée selon le rituel imposé par ces évéri.efuerits villageois: ventes et. achats de betes, transactions interminables, discussions achamées visant à dimi– nuer !es prix., fUìneries de badauds, joyeuses retrouvailles dans !es nombreux es– taminets, copieusement arrosées par !es meilleurs crus de Carema et de Donnas. Les Saintmartinais avaient l'habitude de feter ce jour par des agapes fa– miliales où se rencontraient toujours !es memes personnes: les notables chez Monsieur Chenuil, !es commerçants chez le plus aisé des commerçants, les paysans et !es ouvriers, chez !es uns ou les autres. Seuls, !es Mongenet dé– daignaient ces retrouvailles et restaient chez eux. Monsieur Martin Chenuil était un maitre maçon en retraite. ll avait fait for– tune à Marseille où il avait échoué, tout jeune garçon encore, à la suite de ces maltres-maçons de Lilliane et de Fontainemore, si recherchés en France et en Suisse pour leur capacité technique dans le batiment. Marié à une Lillianaise, fille d'émigré, il en avait eu deux filles, agées à l'époque de ce récit, de 18 et 20 ans. Rentré dans son pays nata!, il croyait pouvoir jouir sereinement du fruit de son labeur. Mais le malheur qui n'épargne personne et arrive toujours quand on s'y attend le moins, le guettait impitoyablement. Sa femme, qui avait toujours été bien portante jusque-Ià, commença à dépérir mystérieusement. Le docteur Baraing ne savait quel nom donner à son malaise. C'était une faiblesse qui lui montait des jambes et la laissait pantelante, sans souffle, baignée d'une sueur froide. Les meilleurs soins ne valurent rien contre ce mal insidieux qui la mena tout droit au cimetière. Maltre Chenuil s'installa donc dans un triste veuvage que ne déridait pas toujours la gentillesse de ses filles. Il s'était marié autour de la cinquantaine; sa femme était plus jeune que lui de 30 ans et il se disait que, selon !es lois de la nature, ce n'était pas à elle de partir pour le demier voyage. De taille élevée, le visage buriné par la vie au grand air, le verbe haut et la repartie vive, Monsieur Chenuil en imposait à ses concitoyens soit par sa pres– tance, soit par le prestige que confère une fortune bien étayée. Depuis son retour au pays nata!, il vivait dans une belle et grande demeure située près de l'église, aménagée au goiìt du jour avec tout ce qui rend confortable la vie des nantis. Depuis la mort de sa femme, il avait engagé à son service Marie Boutil– Ier, une pauvre orpheline qui gagnait sa vie en se louant chez !es particuliers pour toutes sortes de travaux. Intelligente et vive, jamais fatiguée, Marie avait été d'un grand secours pendant la maladie de Madame Chenuil. La famille 44
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