21 Le Flambeau - 03

poele, où r6tissaient les marrons. Les fruits crépitaient, les coques sautaient et une bonne odeur se répandait dans la pièce. Les hommes devisaient calme– ment, les femmes parlaient famille, les filles assuraient le service et les deux garçons s'affairaient autour du feu. Enfin chacun eut son petit panier rempli de marrons grillés à point. Pen– dant quelques minutes, les doigts voltigèrent autour des coques et les màchoi– res allèrent bon train. Mais les marrons empàtent la bouche, il faut du liquide pour les faire descendre. Monsieur Chenuil déboucha deux bouteilles de "Malvasia" pour les hommes et une de "Passito de Caluso" pour les dames. - Ces marrons sont gros et charnus et d'un goùt exquis. A Turin, on en vend sous les portiques mais ils n'ont pas cette saveur, commenta l'ingénieur des Ponts et Chaussées. -C'est parce que vous les croquez en bonne compagnie, lança le curé en clignant de l' a:il à Clarence. La jeune fille rougit et baissa les yeux. L'ingénieur se garda bien de rele– ver l'allusion. Marie versa le vin, puis procéda à une seconde distribution de marrons. -Chic! on va s'en mettre plein la panse! dit le plus grand des garçons. Ici cela nous est permis. - Parce que, chez vous, on vous fait patir la faim, par hasard? - Non, bien sùr! Seulement, chez nous, on fait tout avec modération. Il ne nous est jamais permis de nous empiffrer comme des ogres. - Alors, profitez-en. C'est le moment où jamais. Mais veillez à ne pas faire une indigestion. - Pas de danger! Nous avons des estomacs d'autruche. Tout le monde rit. Puis la conversation roula sur les affaires de la commu– ne, les travaux champetres, la future installation de l'électricité, les malheurs d'une telle famille, les fiançailles et les mariages en préparation et les prochai– nes fetes de fin d'année qu'on avait l'habitude de célébrer somptueusement. A deviser ainsi, l'estomac lourd, le bon vin engourdissant les membres et l'esprit, une accalmie se produisit autour de la table. Quelqu'un bailla discrè– tement, la main en écran devant la bouche. Alors Monsieur Chenuil se leva, alla chercher un cafaron dans le buffet, revint vers la table en disant: - Je vais vous faire déguster une eau-de-vie extraordinaire. Jamais "branda" n'a été aussi bien réussie! Ma parole, vous m' en direz des nouvelles. Il versa le liquide translucide dans les petits verres et s'appreta à recueil– lir les compliments que méritait son breuvage. Les hommes goutèrent avec la componction digne d'un bigot devant l'hostie, clappèrent de la langue d'un air entendu. - Un vrai nectar, dit le curé, fin connaisseur des eaux-de-vie de chez nous et d'ailleurs. Pour une réussite, c'est une réussite! Parole d'entendeur! - Je vais vous faire du café, dit Marie, pour vous remettre à point l'esto– mac. Et une tisane pour les petits garçons. - Dis-donc, toi, tu n'es pas tellement plus grande que nous, tu sais, re– marqua l'alné, pincé. Tu te prends pour une grande personne, mais tu n' es guère plus qu'une fillette. Et pas meme fiancée! Marie lui fit un pied-de-nez et s'enfuit à la cuisine. D'où elle émergea, un quart d'heure plus tard, portant un lourd plateau chargé de tasses et de soucou- 49

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