21 Le Flambeau - 03
générations de garnements du village. Les plus audacieux y avaient pénétré, sans toutefois s' aventurer trop loin. Une légende raconte qu'une sorcière y a passé toute sa vie sans jamais en sortir que par le haut du "Crestas" pour y danser, les nuits d'orage, en compa– gnie de ses consceurs et des démons. D'où les simples en avaient déduit qu'un passage souterrain mettait en communication le manoir du "Crestas" avec le "Castel" de la plaine, permettant ainsi aux seigneurs tout agissement suspect, loin de la curiosité des manants. - Je me demande ce qu'attend la commune pour boucher cette caverne! faut-il qu'une de ces tetes folles s'y aventure et qu'un accident s'y produise pour que l'on s'y décide? Monsieur Baraing, vous, en tant que syndic, et toi Héréraz, en tant que conseiller, présentez la chose au prochain conseil, voulez-vous? - J'y veillerai, je vous le promets. Nous en discuterons. Nous en avions discu- té déjà quand cette bande de romanichels s'y était réfugiée. Vous vous en souvenez? - Oui, mais depuis, on n'en ajamais reparlé. - Il est tard, dit Madame Baraing, il nous faut rentrer. Minuit sonna à la grande horloge murale. Tout le monde se mit debout. On s'attarda encore aux politesses d'usage, puis chacun s'achemina vers la sortie. Monsieur Chenuil précéda les dames jusqu'au seuil, suivi des hom- mes, des jeunes filles ·et des garçons. · Dehors, il faisait un temps tiède; le ciel était un immense tapis de velours bleu sombre clouté de points lumineux. -Quel beau temps d ' automne! Dans la Haute Vallée, la nuit il y fait un froid sec en automne. Ici, on se croirait au printemps. -C'est l'été de la Saint-Martin. Il fait toujours doux à cette époque de l'année. Les frimas, c'est pour Noel. - Certes, certes. Eh bien, bonne nuit à tous. - Bonne nuit. Bonne nuit. Monsieur Chenuil referma la porte. Marie l'attendait dans le hall, une lampe à la main. Ils montèrent ensemble l' escalier qui menait aux chambres à coucher. Devant la porte de celle de son maltre, elle s' arreta. - Bonne nuit, Maltre. Dormez bien. J'ai mis un pichet d'eau citronnée sur votre table de nuit, au cas où vous eussiez soif, cette nuit. Les chataignes, ça donne soif. -Merci, Marie. Tu es toujours prévenante. Bonne nuit à toi aussi. Marie entra dans la chambre de ses jeunes maltresses. Elle couchait dans une alcove, au fond de la pièce. Clarence et Charlotte s'étaient déjà couchées. - Brrr, dit Charlotte, en tirant sur ses couvertures. Je pense à ces pauvres amants, au fond de leur trou, à meme la terre. Qui les a assassinés? Le mari ja– loux, sans doute. -Ne pense plus à cette triste histoire. Cela s'est passé il y a longtemps! Il n'est pas bon de s'endormir avec de telles pensées. On fait de mauvais reves, dit Marie. - On dit que ceux qui meurent d'une mort violente, reviennent hanter les lieux où ils ont péri, murmura Clarence à voix basse. Dire que je me suis souvent promenée au "Crestas"... - Avec ton amoureux, persifla sa sceur. - Avec ou sans, peu importe! Je n'irai jamais plus là-haut. 54
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