21 Le Flambeau - 03

ne des peuples, mais uniquement pour servir un idéal de grandeur nationale. Et pour enrichir !es fabricants d'engins meurtriers, !es marchands de la mort... - Mais, objecta Clarence, depuis que le monde existe, le plus grand a écrasé le plus peti t. .. -Et tu trouves que c'estjuste? riposta Marie avec véhémence. Tu trouves que ça suffit pour tranquilliser nos consciences? Les grands ont toujours raison et !es petits n' ont qu'à se taire. Camme dans la fable de La Fontaine. "Tu trou– bles mon eau, dit le loup, c'est pourquoi je vais te manger". Tu penses qu'on ne pourrait pas vivre tranquillement, !es puissants et !es faibles, !es riches et !es pauvres, si chacun donnait ce qu'il a de trop à qui n'en a pas assez, s'il était soli– daire de son frère qui souffre, s'il ne tolérait aucune injustice, aucune cruauté perpétrée sur ses semblables, s'il respectait l'homme te! qu'il est avec ses fai– blesses et ses grandeurs, s' ill'aidait à etre meilleur? Tu crois que !es hommes ne pourraient atteindre à cette perfection s'ils y mettaient tous de la bonne volonté? - Les hommes de bonne volonté sont rares. Meme l'Evangile le dit! - Marie, bailla Charlotte que le sommeil gagnait. Tu parles camme le docteur Baraing. Cesse de discuter. Demain, nous devons nous lever de bonne heure. Tu as oublié que nous ramenons !es garçons à Turin? Tu nous accom– pagnes, n'est-ce-pas? Papa ne peut pas venir car il doit surveiller la fermenta– tion du vin nouveau. Et il ne nous laissera jamais partir sans toi. Nous irons dans ce magasin de la rue de Rome choisir nos toilettes pour Noel. - Entendu, je serai votre chaperon. -Et Dieu sait si tu l'es pour de bon, dit Clarence d'un ton moqueur. Tu es plus sérieuse et austère qu ' une vieille abbesse! -Il le faut. Vous etes si écervelées parfois. Charlotte cacha la te'te sous la couverture et souffla: - Bonne nuit, !es filles. J'éteins la lampe. J'ai sommeil. Elle s'étira, ramena ses couvertures qui avaient glissé, laissa flotter son es– prit dans cette atmosphère ouatée qui précède le sommeil. Clarence ne bougeait plus. Marie resta longtemps éveillée, repassant en pensée !es événements de la joumée camme elle le faisait chaque soir, récita ses prières, dressa mentalement son emploi du temps du lendemain, puis, la fatigue aidant, elle glissa doucement dans le sommeil. Les joumées de fete représentaient pour elle un surcrolt de tra– vai!. Mais elle ne s' en plaignait pas. Elle aimait travailler, se dépenser pour !es etres chers, veiller à leur bien-et:re, avoir l'rei! à tout. Mais le soir, elle était érein– tée. Elle retrouvait avec un "ouf' de soulagement son Ii t au fond de l'alcove. Le silence s'installa dans la pièce, le silence étouffé des chambres habitées fait de craquements soudains des meubles, de soupirs, de respirations régulières, de glissements soyeux des couvre-lits. Dehors, la grande ombre mystérieuse de la nuit enveloppait la paisible demeure. De temps en temps, un chien aboyait, un chat miaulait, une vache beuglait dans quelque étable. Et pendant que !es hom– mes dormaient, les rapaces noctumes, !es fouines, les belettes, !es chauves-sou– ris quittaient leurs nids et leurs tanières, s' appretant à satisfaire leur instinct de chasseur. Sur le "Crestas", une chouette inspirée hululait un "requiem" autour des fougères, demier cri de deux amants infortunés. Aoste, octobre 1988 PIA LANTERMOZ-FACCINI Service photographique de Raymond Vautherin 57

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