21 Le Flambeau - 03
L'Europe: une des parties du monde Singulière idée, à vrai dire, que cette Europe d'une seule nation, à l'heure des Sommets des douze chefs d'Etat et du bouillonnement in– croyable des pays de l 'Est. Avant la Révolution française, nous le savons, il n' y a pas de nation, dans le sens où nous comprenons aujourd'hui ce concept. Il n'y a guère d'Europe non plus. Dans sa classique Histoire de la pensée européenne au XVllle siècle, Paul Hazard s'interroge: "L'Europe, qu'était-ce aujuste? On ne le savait pas. Vers l'Est, ses limites étaient in– certaines; à l'intérieur, elle n'avait pas toujours !es memes divisions, par rapport aux peuples qui l'habitaient; son nom meme s 'expliquait mal. Ju– pitel; déguisé en taureau, avait enlevé Europe, fille d 'Agén01; tandis qu'el– le se promenait avec ses compagnes sur une p/age de Phénicie; en l'hon– neur de cette belle, il avait appelé Europe l 'une des parties du monde; fa– buleuse histoire à laquelle Hérodote déjà ne croyait plus". Si, comme l'a montré l ' historien français René Girault, les grands principes de 1789 sont un bien commun des Européens- liberté et égalité des hommes, donc démocratie et défense des droits de l'homme, fraternité entre les peuples - le XIXe siècle ne voit pas progresser l' idée. Au– jourd'hui comme hier, "plus /'Etat-nation se consolide, plus I'Europe se désagrège et moins des constructions européennes peuvent naftre ". Le choc des nationalismes laisse des traces sanglantes sur le xxe siè– cle. Comme Valéry, Aristide Briand et bien d'autres découvrent que "Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles; nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pie avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles, avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadé– mies et leurs dictionnaires, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et !es critiques de leurs critiques... ". Ce beau texte est connu. Il trouve une nouvelle actualité. L'idée européenne a connu sa renaissance comme un moyen d ' éviter le conflit grandiose et futur que certains perçoi– vent déjà dans l' épilogue de la première guerre. Un accord souple pour un effort commun C'est l'époque où Richard Coudenhove-Kalergi, un aristocrate de Boheme, élabore la doctrine paneuropéenne: dans son esprit, Pan Europe de– viendrait une association régionale de la Société des Nations, ancetre de nos Nations Unies. En 1923, Coudenhove crée à Vienne le siège de l'Union pa– neuropéenne. Il reçoit le patronage de Paul Claudel, Paul Valéry, Jules Romains, Heinrich et Thomas Mann, Gerhart Hauptmann, Stefan Zweig, Rainer Maria Rilke, Sig– mund Freud, Albert Einstein, José Ortega y Gasset, Selma Lagerlof, Miguel de Unamuno. Toutes des personnalités de premier pian dont certaines travaillent par ailleurs à la Commission de Coopération intellectuelle de la SDN, créée en 1922, et dont Jules Destrée assumera la vice-présidence. 6
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