21 Le Flambeau - 06

rière-boutique, hachant et mélangeant dans un mortier en bronze herbes, graines et ajoutant, selon les cas, extraits, pommades et huiles essen– tielles pour en faire de précieux médicaments qu 'il présentait dans de pe– tites bouteilles en verre marron ou dans de petits pots ou encore dans des enveloppes pliées en quatre et cachetées. Tel était le charisme de Blanc qu'on se sentait soulagé bien avant de rentrer chez soi. Il faut dire que cet– te confiance était pleinement méritée: Blanc l'avait acquise dans les an– nées 1917-18 alors que sévissait la fièvre espagnole qui n' avait épargné personne. Ceux qui avaient eu recours, à temps, aux soins de Blanc eurent la vie sauve grace à un remède dont il avait le secret. Depuis cette date la réputation de Blanc devint intouchable. Un mardi, donc, Sermo entra dans la pharmacie avec deux douzaines d'reufs frais et, prenant Blanc à part, camme à confesse, il lui chuchota à l'oreille le motif de sa visite. Dans son grand tablier noir de magicien, les cheveux blancs coupés en brosse, la taille imposante, Blanc, habitué à tout~ sorte de confidences, ne l' écouta qu 'à moitié et lui répondit : "Ne t' inquiè– te pas,j' ai ce qu'il tefautjustement sous la main. Tu n' as qu' àfermer les yeux et à l' avaler deux fois par jow: Dans une quinzaine, tu reviendras m'en donner des nouvelles ! ". Sermo empocha, paya et s'en alla en remer– ciant. Blanc emporta quant à lui les reufs dans l'arrière-boutique. La panacée de Blanc était contenue dans une petite boìte de 30 com– primés et le mode d' emploi, écrit en français ce qui était une garantie pour Sermo, disait : " PILLULES D'HERCULE- sans facheux effets secon– daires ". Et dire qu'à la veille de l'an 2000, on entend crier au miracle et on s'arrache des mains certaines pillules qui nous arrivent tout droit d'Amérique alors qu'il y a quatre-vingts ans, chez Blanc, sans grand bat– tage publicitaire, on vantait déjà les vertus d'un remède servant à redon– ner confiance en eux aux amoureux. Les noces de Neste eurent lieu le mois suivant. Durant le dìner, assis aux còtés de la mariée, l' oncle était rayonnant; également invitée, la pauvre Fine, reléguée en bout de table, ne pouvait rien avaler. Dans un sa– lon contigu, on dansait sans arret des polkas et des mazurkas. Dans un tourbillon, Sermo lança à Fine : " Tu es venue ici pour pleurnicher et porter la guigne ? ". Sur quoi Fine s'en alla à toute vitesse pour laisser, soi-disant, la piace aux jeunes. À l'aube, une joyeuse bande à laquelle avait pris part l'oncle qui chantonnait à voix basse, accompagna les époux à leur nouvelle demeure. Les jours suivants commença la vie en commun, chacun s 'habituant aux autres. Bonne ménagère, Tique comblait l'oncle de gateries et d'at– tentions : le matin elle lui apportait le café avec du beurre frais, puis après 108

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