21 Le Flambeau - 06
taient l' escalier. De la fenetre, il vit sa mère et "l'autre" qui s'en venaient, embrassés et souriants. Un frisson le parcourut de la tete aux pieds. Sa mère le regardait d'un air glacial.- "Que fais tu ici? Pourquoi as– tu réveillé ton frère? Qui t'a donné le permis de descendre? Pourquoi as– tu quitté l'alpage?". Pas un sourire, pas une seule caresse. Ce qu'il avait craint; s'avérait: maman ne l'aimait plus. Le chagrin montait et il lui ser– rait le gosier. Des larmes coulaient sur ses joues. - "Croé bardas! Méchant garnement! Et tu as aussi le courage de pleurer. Tu mérites une bonne fes– sée. Je vais t'apprendre à obéir, moi. Tiens!" La claque lui brUlait lajoue, mais le mal n'était pas là. Son creur était brisé. Jean-Christophe avalait lentement les restes de la soupe, désormais froide, que lui avait versée sa mère. Celle-ci maintenant s'en revenait de la chambre, le bébé dans les bras. Elle le caressait, lui souriait, le couvrait de bises. Puis, tournée vers le berger, d'un air méchant, elle ajouta:- "Et dire que Samuel, le patron, nous avait promis de l'argent et de la fontine pour ton salaire. Parta fuite nous risquons de tout perdre! Demain, il fau– dra que mon mari t'accompagne à l'alpage pour présenter nos excuses. Mais ta faute est impardonnable pour ma part. Et maintenant vite au lit, car demain tu devras te lever de très bonne heure". Le garçon se dirigea vers la chambre, mais sa mère l' arreta. - "Pas ici. Nous avons passé ton lit au bébé. Tu iras au fenil et tu méditeras sur ta mauvaise conduite". - "Je n' aurais jamais dO descendre", pensait l' enfant, pelotonné dans une vieille couverture, sur le tas de foin qui sentait les fleurs des prés. "Je ne suis plus aimé. Maman n'a plus que l'autre et son fils. Ah, papa, papa, viens m'aider". Chagrin, affliction, peine, tourment l'opprimaient et suf– foquaient ses sanglots. Soudain une douleur poignante du c6té du creur... Jean-Christophe s'éveilla en sursaut! Droit à ses c6tés, le visage en cour– roux, Samuel hurla: -"Tu t'es réveillé finalement! Est-ce qu'il te fallait un deuxième coup de pied? Depuis quand il faut venir te chercher pour porter le lait? Allez, lève-toi". Le berger se mit debout. La douleur vive à ses c6tes le fit trébucher. Il se redressa et il descendit à l' étable. "Caoula, caoula". Les bergers l' ap– pelaient. Leurs seaux étant pleins de lait écumeux, ils s 'impatientaient car ils ne pouvaient continuer à traire. Jean-Christophe prit les premiers seaux, il alla les verser dans la grande chaudière, il revint à l' étable et il servit les trayeurs jusqu' au dernier seau, comme il faisait habituellement, le matin et l' après-midi de tous les jours, depuis la Saint-Bernard. Mais, ce jour-là, des larmes s'étaient ajoutées au lait dans la grosse chaudière de l' alpage. JOSEPH-CÉSAR PERRIN 90
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