La correspondance d'Albert Bailly Volume II Années 1649-1650 publiée sous la direction de Gianni Mombello

1 06 Correspondance d'A. Bailly - 1649-1 650 J'ay veu à la Court M. Bertaud ' 3 , qui m' a dict avoir envoié à vos musiciens, si je ne me trompe, les triolets, et autres façons de vers, qu'on a faits sur les vaillants du temps 14; V.A. en verra de merveilleux à la louange du grand com­ te de More 1 5 qui devoit devorer M. le prince de Condé. Ce Prince, qui a autant d 'esprit que de cœur, aborda l 'autre-jour la Reyne avec beaucoup de seriosité et aprés un exorde pareil à celui que j ' ay fait au discours du compliment du ge­ neral Rose, i l pria tres humblement Sa Magesté de luy accorder une grace tres importante mesme pour conserver sa vie, et qu'aprés cela il se tiendroit tres lar­ gement paié et recompensé des services qu'il luy avoit rendus en tant de cam­ pagnes. La Reyne luy repondit avec empressement qu' i l n' avoit qu'à deman­ der, et qu 'il sçavoit bien qu'elle ne pouvoit luy refuser aucune chose, pour im­ portante qu'elle fûte. Ce Prince, aprés l ' avoir humblement remercié luy fit une tres humble supplication d'eriger en sa faveur une charge de Grand Tygrier de France à fin qu' il put se mettre à couvert des pattes, et des griffes du tygre com­ te de More 16. Il n ' eut pas dit ce mot que toute la / (f"7r) Courtfjetta des esclats de rire, et particulierement la Reyne, qui fut bien aise d 'accorder cette tygrerie sans faire prej udice à l ' autorité du Roy. Voi la, Madame, de quoi occuper V . A.R. plusieurs semaines, et ainsy, partageant ma lettre en trois, elle servira, s ' il luy plaist, pour trois ordinaires, et à cet egard, j 'eviterei le blâme d' impor­ tun, et de trop long ecrivain. J'attans, cependant, tous-jours et avec une epou­ ventable impatience mes deux saintes 1 7 , protestant de ne les plus invocquer que je ne les voie, que je ne les touche, et que je ne leur fasse conoistre par des 13 11 pourrait s'agir soit de François Bertaut ( 162 1 - 1 703 ou 1 704), frère cadet de Mme de Motte­ ville, lecteur de la chambre du roi, soit de Blaise Berthod ( I 6 1 0?- 1 677), célèbre chanteur castrat, chantre ordinaire de la chapelle royale dès 1632 et chapelain à la Sainte Chapelle depuis 1 639 (Dictionnaire de la musique, sous la direction de M. BENOIT, Paris, Fayard, 1 992, p. 68); dans son enfance, Louis XIV, aimait beaucoup entendre les concerts de guitare de F. Bertaud. En 1 659, celui-ci accompagna le maréchal de Gramont, chargé de demander la main de Marie-Thé­ rèse d'Autriche au nom de Louis XIV et en 1666, il fut nommé conseiller au Parlement de Paris. Cf. DBF, t. VI, col. 1 75. 14 L'allusion de Bailly se réfère aux Triolets de Saint Germain, publiés pendant le blocus (C. Mo­ REAU, op. cit., n. 3855). 15 Louis de Rochechouart, comte de Maure ( 1 603- 1 661 ) , fils de Gaspard, marquis de Mortemar et de Louise de Maure. Pendant le blocus, il avait été de l'avis de combattre contre Condé, lorsque ce dernier avait occupé Charenton (8 février 1649), poste stratégique pour le ravitaille­ ment de la capitale. A cette occasion, un triolet avait étécomposé par Bachaumont, auquel Condé avait répondu par des vers débutant par "C'est un tygre affamé de sang / Que ce brave comte de More ..."; pour le triolet composé sur le comte et la comtesse de Maure, cf. TALLEMANT, op. cit., 1. 1, pp. 522-26. 16 Cf. note 15. 17 Sur ces portraits, cf. lett. 101, n. 7.

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