La correspondance d'Albert Bailly Volume II Années 1649-1650 publiée sous la direction de Gianni Mombello

Lettre J69 307 J 'ay laissé, Madame, le grand, et incomparable tableau de ma sainte3 à Paris . 11 est vray que, voiant que chacun vouloit en avoir une copie, et d 'ailleurs que c'est maintenant la belle, et sainte mode que les dames portent desb mouchoirs sur le sein, j 'en ai fait attacher un sur celuy de la sainte. 11 est\encore/ vray que le peintre adroit l ' a fait en detrampe, et non pas en huile, afin, dit-il, que les cu­ rieux puissent l 'effacer quand ils voudront, et par une industrie que je condam­ ne, il a tiré ce voile avec tant de delicatesse, et si superficielement, qu'il pro­ duit, presque plus qu'il ne couvre, l 'objet que je pretendois estre entierement caché. Je crois, Madame, que V.A.R. approuvera le dessein de l 'un, et de l ' autre; ce­ luy du peintre, pour n ' avoir osé tout à fait couvrir ce que vous voulés estre vi­ sible / (f03r) et le mien, dans le charitable dessein que j ' ay que V.A. ne fasse du mal à personne, etc ne soit point coupable des pechés d 'autrui, et qui luy sont inconus. Ce sont pourtant les grands, et veritables ecueils, où toutes les beautés font de tres certains naufrages, estant asseuré qu 'elles font les pechés que les autres commettent à leur occasion, et c 'est \<le/ ces offences que le prophete David prioit autresfois Dieu de le puriffier, et qu'il appelloit pechés cachés, et obs­ curs4. V.AR. aimera, par les mouvements de sa pieté naturelle, cette petite moralité, et donnera l 'entrée dans son cabinet à ce petit raion de verité, malgré les epesses tenebres que les complaisances de la Court ont acoutumé d'y jetter, et qu 'elle sçait si heureusement, et si saintement repousser ou dissiper. Aprés ce discours melé, V.A. en verra un autre qui ne l ' est pas moins. Ce sont les nouvelles de la semaine passée qui m' ont esté envoiées par meprise à Lyons. A l 'avenir, Madame, V.A. les recevra de Paris par tous les ordinaires, aiant escrit à celuy qui en a soin de les remettre à un religieux de nostre mai­ son6, et à celuy ci de les adresser à Monsieur de Saint Thomas. 4 Second Livre de Samuel 12, 13. 5 Ces feuilles ne nous sont pas parvenues. 6 11 s'agit du père Alexandre Rive, mentionné dans la lettre 1 68; celui-ci était chargé de recevoir les lettres adressées à Bailly et de les envoyer à Lyon par l 'ordinaire d'Italie; dans cette ville, l'agent Clerc les enverrait à Turin. li pourrait être l ' auteur de la lettre anonyme transcrite en appendice sous le sigle F.