La correspondance d'Albert Bailly Volume II Années 1649-1650 publiée sous la direction de Gianni Mombello

Etude linguistique du texte 35 au fait que les chemins privilégiés par où les italianismes se sont introduits dans le français au cours de la première moitié du xvn e siècle n ' ont guère de relation avec les arguments traités par Bailly. En effet, T.E.Pope57 a relevé les italianismes surtout dans les domaines de la finance, du commerce, des arts plastiques, de la nautique et du théâtre. D' ailleurs, Bailly n 'emprunte à l ' ita­ lien ni les termes rel igieux ni les termes abstraits ou affectifs entrés dans l 'usage à l ' époque. Nous avons remarqué uniquement le substantif minestre (lett. 1 35), ainsi que l 'expression avoir quelque martel en teste58; parmi les dial ectalismes, encore plus rares chez Bailly, nous signalons le terme pedon (lett. 1 80) et surtout l 'expression tant y a, utilisée très souvent dans nos lettres. D'autre part, la proscription des archaïsmes, des termes techniques, des mots dialectaux ou des néologismes n 'empêche pas au style de Bailly de demeurer v ivant et personnel, sans perdre de vigueur ni être "réduit à mendicité"59 par un excès de polissure. En effet, il n'hésite pas à utiliser des termes du Palais hors du contexte juridique, dans l ' intention d'amuser ses interlocuteurs en se mo­ quant gentiment de quelques personnages de la cour: c 'est le cas, par exemple, du substantif inexécution (lett. 1 26), attribué à la princesse de Carignan dont le caractère hargneux et prétentieux était bien connu à ) 'époque. La création de termes nouveaux va dans le même sens: le verbe detahoriser, indiquant l ' ac­ tion de priver quelqu 'un de son tabouret auprès de la reine, permet à Bailly de ramener à de justes proportions ) 'affaire des Tabourets (octobre 1 650); quant à l 'adjectif angliemand (lett. 1 5 1 ) , il peut être considéré comme une parodie bé­ névole de l 'entourage d'Henriette d 'Angleterre, sœur de la duchesse de Savoie. On remarque donc chez Bailly la volonté de sortir de l ' impasse qu'un respect trop strict des préceptes des grammairiens aurait créé à l'épanouissement de son originalité stylistique: cette défense de la créativité conjuguée avec ) 'exi­ gence de pureté et perfection constitue peut-être le trait saillant de la langue de cet épistolier et elle représente aussi son attrait majeur. 57 T. E. POPE, Lexical Borrowings in the Romance Langauges. A critical Study ofltalianisms in French and Gallicisms in ltalianfrom 1100 to 1 900, Oxford, Blackwell, l 97 1 , 2 vols, t. 1 , pp. 307-24. 58 H. ESTIENNE, Deux Dialogues du langagefrançois italianisé, Paris, 1. L isie u x, 1 883, 2 vols, t. 1, pp. 3 et passim. 5 9 LA MOTHE LE VAYER, Lettre touchant les nouvelles remarques sur la languefrançaise, l 647, cit. dans F. BRUNOT, op. cit., p. 56.

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