La correspondance d'Albert Bailly Volume V Années 1654-1655 publiée sous la direction de Gianni Mombello

224 Correspondance d 'A. Bailly - 1654- 1655 s ' eloignant du comerce de la Cour. C ' est une persone pieuse, et qui m' aime beaucoup. La grandeur, et la delicatesse de ma dilection, Madame, me faisoit remarquer dans les lettres que j e recevois de V.A.R. en ces temps là, ce me semble, moins de douceurs , de confiance, et de tendresses. Elle aura pû remarquer aussi de son costé, que les reponces que je luy faisais, estaient plus vagues, plus etendues, plus etudiées, moins pleines / (f0 3r) des secrets de la Cour, que de coutume . C ' est que je doubtoi s qu ' el les l uy fu ssent agreables, je pensois qu ' e l le ne vouloit plus que j e me melasse de cette natureh d' affaires, et dont elle m' avoit fait l ' honeur de me confier le secret à mon depart de Thurin7• Cela mesme< prej udicioit à vostre service, car ne sçachant plus ce qu'elle aimoit, et ce qu ' elle n ' aimait point, je supprimois plusieurs choses essentieles, louois ce que j ' aurais peut estre moins porté en un autre temps, et ne m' expliquois, enfin, que comme un penitent qui ne se fie pas à son confesseur, de creinte de / (f03v) ne rencontrer pas8, pour me servir de cette diction italiene, le goust de V.A. R. . Tant y a Madame, que toutes ces choses unies ensemble, ces advis multiples, et mes soupçons, formerent ces espesses tenebres qui s' estant elevées dans ma raison I ' empescherent ded conoistre tousj ours le visage naturel de ses veritables serviteurs, quelque soin que j ' aporte, et quelque diligence qu'on face pour le deguiser, et pour le defigurer. Il est vray, Madame, que / (f04r) la connoissance que j ' ay de sa fidelité inviolable, et de cette prodigieuse clemence qui luy a fai t pardoner à de cruels enemis, me faisoit esperer, qu' elle ne voudrait pas perdre une creature innocente,c et incapable, comme elle a dit souvent,' de manquer que par un excés de zele, sur les raports de quelques envieux. Mais, Madame, la violence, et l ' emportement de mon affection, qui creint tout, etouffoit ce petit raion de consolation dans sa naissance, et me faisait croire ma disgrace. Je me comparais à un vaisseau qui est au milieu de la mer battu des vents contraires, et differents. Un coup de mer semble l ' aller briser contre un / (f0 4v) ecueil, et un autre le repousse au milieu des ondes. Une vague le porte à deux doigts du port, et une autre le rejette dans le peril , et dans le lieu où se font les naufrages, et ainsy ce 7 Bailly fait allusion au séjour qu'il avait fait dans le Piémont au cours de l'été 1 650, lorsqu'il s'était rendu en Italie pour le Chapitre général de son Ordre. ' Notre épistoli er calque sa phrase sur la locution italienne non incontrare il gusto di qualcuno, qui signifie ne pas être au goût de quelqu 'un, lui déplaire.

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