La correspondance d'Albert Bailly Volume X Années 1677-1688 publiée sous la direction de Gianni Mombello

266 Correspondance d 'A. Bailfv - 1 6 77- 1 688 que la couleur de l 'h umeur sanguine paroissoit sous une joue vermeil le, et la pituiteuse, sans une joue blanche, et que je ne comprenois pas comment on pou­ voit establ i r la beauté sur un crachat recuit, et sur un sang peut estre corrompu. Ma pensée plût à la Reine, et je crois même que je l ui fis plaisir, car elle n 'etoit ni blanche, ni vermeille. Je retourne, Madame, d'où je suis parti, et j 'emploie votre temperament contre ce qu'on m'a dit de votre colere. Mesme les medecins disent qu' i l est le frei n de la b ile, qu'il n ' i nspire que tranqu i li té, qu'enjouement, que repos d'esprit, et qu'il rebute toutes les passions qui tormentent comme sont particulieurement la haine, et la colere. Et c'est encor ce qui me fit dire à V.A. R [oya] le, Madame, que vous /[f'2r] n ' aimiés que votre belle persone, parce que cette amour est naturelle et douce, et toutes les autres amours sont piquantes et etrangeres dans leur objet. Et c'est pour cette raison que l es bilieux ont de l 'amour pour les belles persones, parce que leur temperament de feu s'enflame aisement. (J 'en conois quelques uns de ce caractere). Mais Aristote dit que leur passion est un feu de paille, et qu ' i l s ne sont pas constants en amour. La raison est que ! 'home cherche purement le plaisir dans ces amours. Le plaisir n ' est plaisir, qu'en tant qu ' i l est comode et doux, et i l y a u n certain souffre dans l ' amour etrangere, qui rend ce plaisir aigre, et en rebute le cœur humain; et on peut bien certainement comparer ce cœur, et ce plaisir amer, à deux astres qui s ' e loignent avec la mesme v itesse qu ' i ls s'etoient aprochés. Tant y a, Madame, que votre modestie est l iée, et i l faut malgrée e l le, que vous confessiés que vous estes au dessus de toutes les passions, et que j 'ai eu raison de dire dans votre e loge que votre cœur est ce sage indolent que Seneque eleve j usques à la plus haute region de l 'air, où la serenité est, et regne tousjours9. Vous n'etes pas donc en colere contre moi, Madame, et j e crois que Monsieur Panealbo10 est si home d'honeur, qu ' i l vous dira que vous n ' en avés pas aussi aucun sujet 1 1 • On en trouve peu qui soient marqués à ce caractere. J'en conois b ien quelques-uns qui ont elevé mon zele et mes respects pour V.A.R[oya]le j usqu'au troisiesme ciel, et qui par derriere s'en sont dedits, et ont mesme pris la peine de me rendre de 9 ''Hoc ergo cogita, hune esse sapientiae effectum. gaudii aequalitatem. Talis est sapientis animus qualis mundus super lunam: semper illic serenwn est. Habes ergo et quare velis sapiens esse, si 1111mquam sine gaudio est. Gaudium hoc non nascitur nisi ex virtutum conscie11tia: 11011 potest gaudere 11isifàrtis, nisi iustus, nisi tempera11s". (SENÈQUE, Epistu/ae ad Lucilium, 59, 1 6) 1 ° Cf. lett. 785, n . 8. 1 1 Aussi construit avec une préposition négative signifie "non plus" en ancien français et conserve ce sens j usqu'au XVIW s iècle. A. H AASE, op. cit. , p. 409. J

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