La correspondance d'Albert Bailly Volume X Années 1677-1688 publiée sous la direction de Gianni Mombello

3 1 0 Correspondance dA. Bail(r - 1 6 77- 1 688 enchanté que V.A . R . . /[f" l v] Enfin, Madame, V. A . R. voit que je travai l le incessamment. C ' est qu ' outre l e panchant que j 'a i pour les operations de ! ' esprit, j e s u i s dans u n desert, où rien ne m 'empesche de rever, mais d isent tout d i fferent des autres. Us sont les deserts ord i na i res nus et remp l i s de betes sauvages, et le mi en i l est revetu de tap isseries et habité par tout ce qu' i l y a de plus saint dans le c i e l , et par tout ce q u ' i l y a de sacré, et de beau sur la terre4. Soixante et douze eveques sont à l 'entrée de mon desert, comme dans une es­ pece de vaste sale tous debout, et tous tete nue. V.A. R . , S.A. R., Monseigneur et Madame l a Princesse, occupent le m i l ieu de ce desert qui peut passer pour une antichambre, et Jes[us]-Christ accompagné de sa mere, et S [a inte] Magdel a ine, et de plusieurs sain ts sont placés au bout du dese1i, et cette extre­ mi té est fort semblable à une chapel le'. Ne voi l à pas, Madame, une divine, celebre et bell e compagni e? Et neant­ moins j 'habite un desert, et pour oter toute equivocque, c 'est, M adame, que cette auguste troupe ne me d i t pas un seul mot de toute la journée, ne me de­ tourne point de mes reveries. Et vous /[f"2r] même, M adame, en la presence de qu i j e d icte à mon secretaire6 ce que j e pense", vous ne m ' in terrompés point, et vous avez tant de peur de me troubler que vous ne faites nu l mouve­ ment, sinon que je m ' aperçoi s de temps en temps q u ' entendant les e loges que je vous fai s votre modestie eleve et mele sur l a b lancheur de votre visage un i ncarnat eclatant au gris b l anc q ue la nature y a peint. Je ne sçaurrois, puisque nous sommes sur le latin, m ieux expli quer ce rnelange de blanc et d ' i ncarnat qued par ce vers latin Candida, purpureis, lilia, iuncta, rosis7. Je remarque encore, Madame, j ettant les yeux sur vos admirab les manieres, que vous avez l a bonté de me faire une bone et riante chere et de me temoi­ gner par votre obligeant s i l ence que vous agreés mes productions, car qui se tait, consent8. Je vous supplie tres h umblement, M adame, de me faire dans votre palais, la même grace \que/ je reçois de V.A. R . dans mon desert, c'est 4 Bailly se plaint tout le long de sa correspondance de l'éloignement de son Paris adoré. À ce su j et cf. P. CIFARELLI, Le mythe de Paris . . . , art. cité. 5 Voir à ce sujet la lettre 8 l 8. 6 Personnage non identifié. 7 OVIDE, Pastorum, L iber decimus, 229. 8 Proverbe. Qui se tait, consent. Synon. rare et viei l l i de qui ne dit mot, consent.

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